En 1990, il y a encore les Nordiques à Québec. La Cour suprême vient tout juste de donner raison à des parents francophones de l’Ile-du-Prince-Édouard qui souhaitaient avoir leurs propres écoles et déclare inconstitutionnel l’Official Language Act du Manitoba. Mais en ce premier mois de l’année, le 30 plus précisément, alors qu’on négocie le fameux accord du lac Meech, la ville de Sault-Sainte-Marie fait parler d’elle.
Elle adopte une résolution se déclarant unilingue anglaise. Elle veut ainsi protester contre la loi 178 du Québec, qui permet l’affichage bilingue à l’intérieur des magasins, mais qui prône l’unilinguisme français à l’extérieur en ayant recours à la fameuse clause nonobstant. Il faut se rappeler qu’à l’époque, la Cour suprême du Canada avait émis un jugement contre certains articles de la loi 101, dont celui sur l’affichage.
Selon le Commissariat aux langues officielles, la ville vote cette résolution dans la foulée d’une «pétition déposée par le groupe The Alliance for the Preservation of English in Canada, qui avait répandu la rumeur voulant que la Loi sur les services en français
[de l’Ontario] forcerait les municipalités de l’Ontario à fournir des services en français». À sa manière, Sault-Sainte-Marie suivait ainsi les traces de certains citoyens de Brockville, qui avaient foulé quelques mois plus tôt le fleurdelisé.
30 ans plus tard, que reste-t-il de tout cela?
Jessica Torrance est technicienne en éducation spécialisée à l’École publique Écho-des-Rapides à Sault-Sainte-Marie (SSM). Elle habite dans cette ville depuis 8 ans. Mme Torrance est aussi la présidente du Centre francophone de Sault-Sainte-Marie depuis deux ans, «le porte-parole de la communauté francophone».
Elle qui a grandi, étudié et travaillé en français constate que la francophonie du Sault «se porte de mieux en mieux», même s’il y a eu des hauts et des bas depuis 30 ans. Certes, la présidente du Centre est relativement une nouvelle venue à SSM, mais elle raconte qu’à la suite de la résolution, certains francophones ont dû quitter la ville. La tension était trop vive.
Ce fut le cas pour Jean-Paul Dubreuil, qui est parti de Sault-Sainte-Marie pendant 7 ou 8 ans.
L’ancien entrepreneur forestier s’était installé à Sault-Sainte-Marie en 1989. Il a été aux premières loges et s’en rappelle bien. «Quand j’ai reçu la pétition chez moi qui demandait que Sault-Sainte-Marie devienne unilingue anglophone, je n’ai pas voulu signer ça.» Ce soir-là, il partit s’entrainer en se disant qu’il irait au conseil municipal après. Trop tard. La salle était comble. Les francophones ont peu eu le droit de parole avant l’adoption de la résolution, selon M. Dubreuil.
À l’époque, les séances du conseil étaient filmées, se souvient-il. Bizarrement, après l’adoption de la résolution, la cassette montrant les interventions des francophones devint introuvable. «On ne peut pas revenir en arrière», concède celui qui multiplie le bénévolat au sein de sa communauté. «Mais on peut éviter que ça recommence. Que ce soit pour les francophones comme pour toute autre minorité. Imaginez si on avait fait ça à des Autochtones? Ou si on le faisait à des musulmans?»
Son souhait le plus cher serait que le maire actuel et son conseil s’engagent à ce que tout le monde ait le droit de parole quand survient une décision aussi grave que celle survenue il y a 30 ans.
Reconstruire les ponts
Quand on pense que sur les quelque 66 000 habitants de Sault-Sainte-Marie, les francophones ne représentent que 3 % de la population selon le recensement de 2016, Jessica Torrance a toujours de la difficulté à comprendre pourquoi, en 1990, les anglophones ont réagi si fortement au soi-disant danger francophone.
L’épisode fut un coup de fouet pour la communauté francophone de Sault-Sainte-Marie. Mais au lieu de les asservir, au fil du temps, «on a voulu faire notre place». Le rôle du Centre francophone dans cette reconstruction? «Quand on fait nos activités, on le fait pour tout le monde. On participe aussi aux activités des uns et des autres.» À titre d’exemple, les anglophones participent aux festivités de la Saint-Jean-Baptiste organisées par le Centre.
Du côté de la majorité, deux gestes ont aussi souligné la volonté de tourner la page : en 2010, la municipalité s’est excusée pour l’adoption de la fameuse résolution et en 2015 — année où l’on soulignait les 400 ans de présence française en Ontario —, pour la première fois, le drapeau franco-ontarien a été hissé à l’Hôtel de Ville.
Un anniversaire souligné?
Au cours de l’année, pour ces 30 ans, on pourrait imaginer que certaines activités du Centre viendront souligner cette page trouble de Sault-Sainte-Marie. «Le Conseil d’administration en a brièvement discuté.» En fait ce qui sera souligné, c’est la vitalité des francophones de la région. «Puisque c’est encore un sujet lourd pour certaines personnes, nous ne voulons pas souligner techniquement la résolution, mais nous voulons souligner l’évolution et la place que nous avons réussi à nous faire en tant que francophones depuis 30 ans. Nous voulons regarder de l’avant et laisser le passé dans le passé.»
Le jeudi 23 janvier, la réalisatrice Sophie Houle-Drapeau a présenté en avant-première son documentaire La résolution, qui porte sur les évènements. Il est maintenant disponible sur la plateforme ici.tou.tv.