Le jeune metteur en scène Dillon Orr ne s’est pas fait prier pour monter à bord de la production. «J’ai tassé deux trois petits projets parce que ça me tentait énormément.» De toute façon, peu de metteurs en scène passeraient à côté de l’occasion de donner vie à un texte d’Alain Doom en plus de travailler avec cinq monuments du théâtre francophone.
Le club des éphémères se déroule dans une maison de retraite de la région du Nipissing. On y rencontre cinq femmes : Marie, Yvonne, Émilie, Annette et Cécile. Non seulement portent-elles toutes les mêmes prénoms que les jumelles Dionne, mais elles partagent une passion pour cette histoire et préparent d’ailleurs une pièce de théâtre sur le sujet qui sera présentée le soir de la St-Jean. Un peu par hasard, elles se retrouveront devant la caméra d’un documentariste qui veut faire un film sur les shadflies, mais ce n’est pas de ça qu’elles veulent parler et elles joueront du coude pour avoir leur moment devant la caméra.
L’attachement de M. Orr avec le texte va plus loin que la simple appréciation du travail de l’auteur. «Moi, ma grand-mère s’appeler Yvonne à cause des jumelles [Dionne] et elle avait une fascination pour les jumelles. Elle avait les assiettes, les cuillères des jumelles Dionne et pour elle, c’était une histoire d’espoir pour les jeunes femmes franco-ontariennes. J’ai grandi avec cette histoire-là. Et c’est seulement après mes recherches pour ce show-là que j’ai compris la tragédie.» Il s’est donc intéressé à la relation entre la réalité et le fantasme des souvenirs qui s’égrènent.
Cette constatation rejoint ce qu’Alain Doom mentionnait au Voyageur au sujet de ses intentions lors de l’écriture. «Je me suis rendu compte que les gens en avaient un souvenir assez évanescent, superficiel et que les traces et les souvenirs de cet épisode s’étiolaient. Étonnamment, j’ai trouvé beaucoup plus d’ouvrages en anglais qu’en français!»
Distribution d’expérience
Face au jeune metteur en scène, cinq comédiennes qui ont chacune un monde d’expérience en théâtre : Esther Beauchemin (Ottawa), Marie-Hélène Fontaine (Toronto), Geneviève Langlois (Toronto), Diane Losier (Tracadie) et Hélène Dallaire (Sudbury).
Hélène Dallaire est bien connue dans le Nord de l’Ontario, mais surtout comme metteuse en scène et enseignante. «Dillon n’était même pas au monde la dernière fois que je suis monté sur scène!», lance-t-elle. «Au début, c’était un défi, mais, maintenant, c’est un grand plaisir.»
Elle avoue par contre qu’elle a rarement vu un texte aussi difficile à assimiler. «Ce sont toutes des répliques pas rapport. Elles ne se parlent pas vraiment. Il y a plusieurs couches aussi. Diane dit : “Ah! mon beau profil c’est celui-là” pis moi je lui dit : “Ah ben moi je mangerais bien une tarte aux pommes et à la cannelle”.» Faire des liens pour savoir quand répondre devient donc un exercice plus complexe.
Elles ne se parlent pas vraiment. Il y a plusieurs couches aussi. Diane dit : “Ah! mon beau profil c’est celui-là” pis moi je lui dit : “Ah ben moi je mangerais bien une tarte aux pommes et à la cannelle”.
Mme Dallaire dit ne pas avoir eu de difficulté à mettre de côté son instinct de metteuse en scène pour laisser toute la place à M. Orr. Ceci ne veut pas dire qu’il ne profite pas de l’expérience des cinq comédiennes. «J’ai énormément appris pendant ce processus. Ce qui est fascinant, c’est que nos cinq comédiennes viennent de partout et n’ont pas la même conception de la création.»
En échange, Hélène Dallaire fait l’éloge du metteur en scène : «Il comprend, il est prêt, il a travaillé son texte, il nous guide, il nous laisse aller, il sait… ce n’est pas tellement dans le jeu, mais dans la compréhension qu’il veut en faire. Il est très respectueux, mais, quand il a son idée, il est capable de la défendre.»

Des «légendes» inspirantes
L’histoire de jumelles était un peu une curiosité pour Alain Doom. «Au départ, je voulais mettre en scène les jumelles Dionne, mais je me suis vite rendu compte que j’étais face au premier degré, alors que je voulais plus m’attacher aux mythes et aux légendes.» Il a par conséquent changé son approche pour s’intéresser davantage à la perception collective plus qu’aux faits historiques.
L’inclusion du documentaire sur les éphémères découle surtout du rapport à la région et de la relation anecdotique qu’entretiennent les grands médias et les grands centres face aux évènements des petites municipalités. Il représente aussi la poursuite du futile.
Ancré dans les voix du Nord
«Ici, j’ai essayé de travailler la langue aussi, reprend Alain Doom. Ce qui a été tout un défi, puisque j’ai essayé de donner une identité linguistique et un parler ancré dans le territoire à ces cinq personnages.» Il a dû prendre en considération le français parlé il y a 40 ou 50 dans le Nord et celui d’aujourd’hui, avec son rapport à la langue anglaise.
De plus, les éphémères ne sont qu’une seule des références que l’on retrouve sur la région de North Bay.
Entre le souvenir et la fiction
Le metteur en scène dévoile une particularité caché du texte : «Tout au long de la pièce, on se pose la question : “S’tu vrai?”». Est-ce qu’il y a vraiment un documentariste? Est-ce qu’elles essaient de se rendre plus intéressantes? Est-ce qu’elles répètent vraiment un spectacle sur les jumelles?
Le décor entre aussi en jeu dans l’établissement de cette incertitude. La responsable de la scénographie, la directrice artistique du TNO Marie-Pierre Proulx, a voulu se tenir loin d’un décor qui ressemblait à une maison de retraite. «Tout est dans le texte, on n’a pas besoin d’illustrer où elles sont.» En fait, il y a un va et viens constant entre la pièce que les cinq femmes montent, le documentaire et leur histoire. «On a voulu jouer avec le contraste entre le théâtre et le cinéma. On est dans plein d’endroits en même temps», et la scène dans la scène, le rideau et les jeux de lumière sont là pour appuyer les transitions.
La création du Théâtre du Nouvel-Ontario et du Théâtre français de Toronto sera présentée au TNO à sept reprises du 5 au 14 mars. Elle sera à Toronto deux mois plus tard.