le Mercredi 7 juin 2023
le Jeudi 3 septembre 2020 15:04 Courrier des lecteurs

La Laurentienne et le régime de la compression

  Crédit : Jason Paris – Wikimedia Commons
Crédit : Jason Paris – Wikimedia Commons
«... concevoir la gestion autrement que dans une vision compressionniste»
La Laurentienne et le régime de la compression
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L’Université Laurentienne s’est développée pendant des dizaines d’années. Le développement d’une université s’évalue en termes de programmes, auxquels s’ajoutent des infrastructures, comme des bâtiments, pour offrir ces programmes et loger les étudiants.

L’Université, depuis sa fondation et jusqu’à la fin de la première décennie du XXIe siècle, a évolué dans l’optique de servir la communauté du nord-est de l’Ontario. Servir cette communauté consistait :

  • à offrir les programmes de base, par exemple, en biologie, en mathématique, en philosophie, en linguistique;
  • à favoriser la recherche telle qu’elle est perçue par les professeurs et telle qu’elle est sollicitée par la communauté;
  • à générer des programmes spécialisés.

La philosophie qui animait cette évolution était celle du respect des arts et des sciences, de la reconnaissance du caractère sacré de l’institution universitaire, du devoir de protéger ce qui se fait dans cette institution, voire de veiller à son expansion.

Puis on a soumis l’Université Laurentienne à une idéologie, celle de la gestion, du management. Pénétrés par cette doctrine, les administrateurs ont vu dans la Laurentienne trop de professeurs, trop de programmes. Alors ils ont entrepris d’éliminer des professeurs; car les professeurs coutent cher pour les comptables du management, et l’université serait en bien meilleure condition si elle ne comptait pas de professeurs! Au nom d’une vision, présentée comme nouvelle, innovatrice, qui désacralise l’université, qui dénonce comme nostalgique l’idée selon laquelle tous les programmes doivent être maintenus, d’une vision qui ne réclame que des cursus exclusifs, distinctifs, les administrateurs ont abandonné de nombreux programmes, les laissant s’affaiblir au gré de la réduction du nombre de professeurs. Ainsi les programmes sont devenus moins attrayants, moins attractifs.

Les pontes laurentiens du management ont engagé l’université dans une spirale descendante dans laquelle les programmes interpellent de moins en moins les étudiants, ce qui contraint à les réduire davantage, dans une récursivité destructrice… Au lieu de s’accuser de cette erreur de logistique, les administrateurs excusent le phénomène en évoquant des contraintes budgétaires, des questions démographiques, des décisions ministérielles et autres faux-fuyants. Car la logique managériale non seulement ne comprend pas ce qu’est une université, ce qu’est la dynamique d’une université avec son milieu, mais encore elle est incapable de développement. Toute solution, pour elle, est celle de la compression. Tous les problèmes ne trouvent de solution que dans la réduction des ressources destinées à l’enseignement. La logique managériale ne connait pas l’innovation, n’est pas tournée vers le développement.

Le départ de cette administration, il y a peu, a donné espoir. Mais voilà que celle qui l’a remplacée semble imprégnée de la même logique, du même manque de créativité, du même irrespect. On vient de suspendre les admissions dans 17 programmes. Certes, cela n’est pas présenté comme une série de fermetures. «On ne ferme pas les programmes», ose dire, sans rire, le recteur, «on suspend les admissions». Pour s’empresser d’ajouter que «tous les programmes ont une certaine durée de vie», comme si les mathématiques, le théâtre, l’anthropologie, l’archéologie, la géographie, la musique, les langues avaient une durée de vie limitée.

Il reste à voir si cette nouvelle administration persistera dans son aveuglement, si elle sera, elle aussi, incapable de concevoir la gestion autrement que dans une vision compressionniste, vision dont il a pourtant été démontré qu’elle est inefficace, vision qui consiste fatalement à réduire les ressources enseignantes, ce qui a pour effet de repousser les étudiants, ce qui la contraindra encore et toujours à réduire les ressources.

Il reste à souhaiter que cette nouvelle administration saura se doter de l’imaginaire et des moyens qui lui permettront de veiller à ce que les citoyens du nord-est de l’Ontario puissent s’instruire au niveau universitaire, dans le nord, dans la discipline de leur choix, dans une relation réelle avec des professeurs, favorisant ainsi le développement de l’université et du nord dans une dynamique stable et dans une spiral ascendante.

Simon Laflamme