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le Lundi 16 novembre 2020 20:22 Francophonie

«Personne ne nait raciste, on apprend à le devenir»

Bénédict Watchi (g.) et Nawsheen Khayrattee (d.) ont participé à la conférence sur le racisme organisée par la CIF et les réseaux d'intégration des T.-N.-O. et de Colombie-Britannique. — Photo : Marine Ernoult
Bénédict Watchi (g.) et Nawsheen Khayrattee (d.) ont participé à la conférence sur le racisme organisée par la CIF et les réseaux d'intégration des T.-N.-O. et de Colombie-Britannique.
Photo : Marine Ernoult
Pour lutter contre le poison du racisme, il faut en parler, partout, tout le temps.
«Personne ne nait raciste, on apprend à le devenir»
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Dans le cadre de la Semaine nationale de l’immigration francophone consacrée au racisme systémique, les réseaux d’intégration francophone de l’Île-du-Prince-Édouard (Î.-P.-É.), des Territoires du Nord-Ouest (T.-N.-O.) et de Colombie-Britannique ont organisé une conférence en ligne sur le sujet. Cinq panélistes ont partagé leurs expériences, parfois douloureuses, mais aussi de bonnes pratiques pour combattre les discriminations.

«C’est difficile de vivre dans une peau noire au Canada», lâche Gilbert Langsi, qui habite aux T.-N.-O. Le Canado-Camerounais, arrivé en Alberta en 2013 en tant qu’étudiant international, a été victime de racisme à de nombreuses reprises. Sur les bancs de l’Université de Calgary, les autres étudiants le fuyaient, refusant de s’assoir à côté de lui. Un jour, dans un autobus, une femme s’est levée à son approche en se pinçant le nez, sous-entendant qu’il sentait mauvais, car il est noir. Aujourd’hui installé à Yellowknife comme banquier, il raconte qu’une cliente a refusé qu’il examine ses finances. «Elle m’a dit : “Un homme noir comme toi ne peut pas regarder mes comptes”», se souvient le banquier, brisé. «Ça m’a conduit vers la dépression», confie-t-il.

À l’Î.-P.-É., Bénédict Watchi, qui s’est installé en 2014 avec ses deux filles, dénonce également le racisme brutal dont elle est victime. La mère de famille, originaire de République centrafricaine, évoque notamment un soir où elle rentrait du travail en taxi. Le chauffeur l’a interpelée avec des mots d’une rare violence : «Pourquoi vous êtes comme ça, vous les noirs? Pourquoi vous venez au Canada? De toute façon, vous êtes toujours des esclaves», rapporte Bénédict qui a pleuré toute la nuit après cet évènement traumatisant.

Un frein à l’intégration

Les cinq panélistes ont tous connu des insultes décomplexées, des regards mauvais, des murmures qui les renvoient constamment à leur origine et à leur couleur de peau. Ce quotidien blessant qu’ils encaissent dès le plus jeune âge, ils apprennent à vivre avec et à anticiper les réactions des autres.

Quand Zoubairatou Sango sort de chez elle en Colombie-Britannique, elle prête une attention particulière à sa façon de s’habiller. «Dans la rue, je contrôle toujours mon comportement pour ne pas qu’on me remarque», témoigne l’étudiante, originaire du Burkina-Faso.

«Ça joue sur le moral, on se sent étranger dans son pays d’adoption», déplore Nawsheen Khayrattee, installée à Charlottetown.

«C’est incontestablement un frein à l’intégration», abonde l’agente de liaison de la Fédération des francophones de la Colombie-Britannique, Raïssa Ntouba.

Comment réagir sans paraitre susceptible ou agressif? «Quand je surprends des regards ou des chuchotements, j’ai tendance à ne pas répondre, car pour m’intégrer, je ne veux pas faire mauvaise impression, reconnait Nawsheen. Je me dis “c’est comme ça, je ne peux rien y faire”.» Mais un an et demi après son arrivée, la jeune femme originaire de l’Ile Maurice se sent désormais prête à répondre «de manière constructive et apaisée».

Espoir dans la jeune génération

Ils sont unanimes, pour lutter contre le poison du racisme, il faut en parler, partout, tout le temps. «Les victimes doivent partager leurs histoires, car certains Canadiens pensent encore que ça n’existe pas», regrette Zoubairatou.

Angélique Ruzindana Umunyana, des T.-N.-O., appelle à bâtir des ponts entre communautés pour apprendre à se connaitre et combattre l’ignorance. «On doit collectivement se réveiller, car nous sommes tous victimes des préjugés dont on a hérité», insiste la Canado-Rwandaise.

De son coté, le fondateur de l’association Black Advocacy Coalition up North, Gilbert, appelle à mener des campagnes de sensibilisation, à inclure la question des discriminations dans les programmes scolaires. «Personne ne nait raciste, on apprend à le devenir, alors on peut aussi apprendre à aimer les gens», déclare le militant. Malgré leurs inquiétudes, les intervenants restent confiants. «La jeune génération est en train d’évoluer, assure Angélique. Maintenant, c’est à nous de dépasser notre inconfort pour passer à l’action et s’engager.»