le Samedi 25 mars 2023
le Dimanche 24 janvier 2021 14:11 Éducation

L’éducation par l’éducation

Tibila Sandiwidi a participé à une initiative inusitée du Théâtre du Nouvel-Ontario et de la Slague en septembre 2020 : le spectacle semi-communautaire <em>Le shack à patate.</em> — Photo : Julien Cayouette
Tibila Sandiwidi a participé à une initiative inusitée du Théâtre du Nouvel-Ontario et de la Slague en septembre 2020 : le spectacle semi-communautaire Le shack à patate.
Photo : Julien Cayouette
Immigration et établissement avec Tibila Sandiwidi

L’éducation des enfants est l’un des premiers détails à régler lorsqu’une famille immigrante s’installe. Le système d’éducation ontarien est, pour plusieurs raisons, bien différent de ce qui existe dans les pays africains, par exemple. Tibila Sandiwidi a pour tâche d’aider les nouveaux arrivants à comprendre ce système, à faire leurs choix et assurer l’intégration des élèves.

M. Sandiwidi est l’un des travailleurs d’établissement du Centre de santé communautaire du Grand Sudbury rattaché à l’accueil et la rétention des nouveaux arrivants. Il travaille de près avec le Conseil scolaire catholique Nouvelon et le Conseil scolaire public du Grand Nord de l’Ontario. 

Il guide avant tout les parents dans l’inscription de leurs enfants à l’école. «C’est tout un processus, avec des formations, avec des ateliers, avec la communication entre les enseignants, le personnel scolaire en général, la direction des écoles et servir de courroie de transmission», dit-il.

Du côté des enseignants par exemple, il peut avoir besoin d’intervenir si un enfant semble avoir manqué de respect à une enseignante. Un comportement mal vu ici peut être acceptable dans le pays d’origine de l’enfant. 

Du côté des parents, il faut expliquer les différences entre les systèmes d’éducation. La maternelle n’est pas toujours obligatoire et l’élémentaire arrête à la 6e année dans les pays africains. Ensuite, il y a 3 ans de collège à la fin desquels il faut réussir un examen pour être accepté au secondaire. En plus, les années dans ces deux niveaux sont comptées à l’envers : troisième, première et finale au secondaire, par exemple.

Il y a donc un tout nouveau système et un tout nouveau vocabulaire à apprendre.

Les enfants peuvent aussi suivre des ateliers sur les cultures, sur la communication, sur la diversité, sur l’intimidation, sur le racisme, la motivation, comment s’intégrer dans un groupe, comment participer à la vie scolaire… 

Le programme d’intégration a été lancé pendant la pandémie. Pour cette raison, Tibila Sandiwidi n’a malheureusement pas pu bien se faire connaitre auprès de tout le monde, mais il a quand même rempli son mandat. Il reconnait l’avantage de faire des formations par vidéoconférence : rassembler plus de gens en même temps d’écoles différentes.

Connaitre ses droits

M. Sandiwidi considère le service important pour que les nouveaux arrivants connaissent leurs droits. Surtout pour qu’ils sachent que leurs enfants ont droit à une éducation en français.

Il est «capital» de commencer la maternelle en français pour commencer à acquérir les compétences linguistiques nécessaires.

Il dit aussi aux parents de ne pas s’inquiéter à propos de l’anglais. Certains craignent que leurs enfants n’apprennent pas l’anglais dans une école francophone. «Ce n’est pas une réalité. Non seulement nous sommes dans un milieu minoritaire où les enfants apprennent déjà l’anglais avec leurs amis, mais aussi les écoles offrent des cours d’anglais. Ils seront bilingues à la fin de leur cursus scolaire, ce qui leur donne un avantage et un atout sur le marché du travail.» Ils conserveront aussi plus facilement leur culture.

De plus, pour les parents qui connaissent eux-mêmes peu l’anglais, il leur est plus facile de suivre l’éducation de leur enfant, de l’aider en cas de besoin et de participer aux activités organisées à l’école. 

Long parcours

Tibila Sandiwidi est partie du Burkina Faso en 2003 pour étudier en Technique d’éducation spécialisée au Collège Boréal. 

La situation de l’accueil des immigrants était bien différente à l’époque. «Il n’y avait pas de service comme nous en avons aujourd’hui. Je ne dis pas qu’aujourd’hui c’est parfait, mais c’est mieux que ce qu’il y avait au cours de ces années-là», dit-il. 

Il y avait surtout des bénévoles qui offraient leur aide. Il se souvient de Louise Gervais, «une dame très dynamique qui travaillait au Collège Boréal. Elle a été une mère pour tous les étudiants internationaux ou immigrants qui sont arrivés au collège. Elle essayait de comprendre, elle essayait d’aider.»

Il se souvient aussi de la création du Club Tam Tam à Boréal, un groupe qui organisait des activités d’intégration culturelle et de soutien. «Je ne peux pas oublier ces moments-là, parce que c’était des moments où des gens s’étaient engagés et qui ont donné le meilleur d’eux-mêmes pour aider les étudiants.»

Après ces études, il a travaillé dans des garderies, dans les conseils scolaires et a occupé divers postes au Collège Boréal. À travers ses emplois, il a poursuivi ses études à temps partiel et a obtenu un baccalauréat en Science politique et une maitrise en recherche appliquée à l’Université Laurentienne. Il a aussi trouvé le temps de contribuer aux conseils d’administration du Centre de counselling et de la Coopérative Boréal. 

Il est heureux d’être resté à Sudbury, qu’il considère un endroit «vraiment fantastique». «Il y a de l’espace. Je dirais que Sudbury offre plus de sécurité pour l’éducation des enfants que les grandes villes.»

Il y a aussi la possibilité d’à la fois conserver sa langue française et d’apprendre l’anglais. Cette dualité crée une diversité culturelle qui donne de la place à la créativité. Quoi qu’il y ait encore un peu de travail à faire de ce côté pour laisser de la place aux nouvelles cultures.

Photo : Courtoisie

Malgré les défis

Grâce à toute l’aide reçue, Tibila Sandiwidi considère que son intégration s’est bien déroulée. Ça ne veut pas dire que tout était rose, mais il préfère se concentrer sur le positif. «La vie est ce qu’elle est. Tu vas rencontrer certains défis qui ne sont pas nécessairement liés à ton lieu de travail. Il faut toujours essayer de voir le côté positif de la vie, de ne pas focaliser sur le côté négatif.»

Malgré les services offerts pour l’intégration par le Centre de santé, il voit d’autres secteurs qui auraient besoin d’interventions, dont surtout l’employabilité. Même si les immigrants arrivent avec un diplôme en main, «une partie des diplômes ne sont pas reconnus et il faut qu’ils repartent à l’école pour se former», expose-t-il, qu’ils recommencent à zéro. 

Il aimerait voir un système où les immigrants pourraient simplement suivre des cours pour une mise à niveau ou des stages, «pour qu’ils entrent directement dans la vie sociale et économique».

Cette notion d’employabilité touche aussi les jeunes. Il craint que le manque d’emploi pousse aussi les jeunes issus de l’immigration, qui ont fait leurs études dans le Nord, vers les villes du Sud. Ils seront remplacés par des nouveaux immigrants, mais le problème ne sera pas vraiment réglé. «C’est comme un cercle vicieux. On forme, mais on n’arrive pas à les retenir», illustre-t-il.

Le combat contre les préjugés et la discrimination par les services de l’état doivent aussi se poursuivre. Tibila Sandiwidi a été aux premières loges de propos discriminatoires ou racistes plus d’une fois et peut en confirmer l’existence.

«J’ai eu affaire à une situation en cour où un avocat m’a dit clairement en anglais : “Tu es immigrant, tu es noir, retournes dans ton pays. Si tu t’attaques à moi, je te ferai ramper jusqu’en prison. Tu es stupide et idiot”.» Pas le genre de chose qu’un immigrant veut entendre venant d’un homme de loi, ajoute-t-il.

Il se souvient aussi d’être entré dans un édifice gouvernemental pour aller chercher des formulaires pour des étudiants et, même après avoir salué poliment l’agent de sécurité et lui signaler qu’il avait un rendez-vous, l’agent lui a demandé s’il venait pour sa probation. «Qu’est-ce qui te fait croire que je ne viens pas pour autre chose?», lance Tibila. C’est le genre de préjugé qui est encore présent. «Ce n’est pas des questions qu’on pose communément à tout le monde», souligne-t-il.