le Lundi 5 juin 2023
le Mardi 9 mars 2021 21:25 Éducation

Une université francophone à Sudbury?

Une fois les critiques lancées, les professeurs ont des solutions à proposer.
Une université francophone à Sudbury?
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Dans la foulée de la table ronde organisée le 2 mars par l’Université d’Ottawa sur «Les défis de l’enseignement universitaire en français dans le nord de l’Ontario», une question a été soulevée particulièrement par les professeurs présents : et s’il y avait un campus francophone d’une autre université à Sudbury?

La rencontre virtuelle, qui a donné lieu à un tir groupé vers l’administration de l’Université Laurentienne (UL) par cinq de ses professeurs et qui a été suivie par une centaine de personnes, a permis d’esquisser quelques solutions face à la crise actuelle.

L’Université Laurentienne, qui ne souhaite pas «faire des commentaires sur les évènements organisés par une autre université» selon son directeur intérimaire aux communications, Jean-Paul Rains, s’est donnée jusqu’au 30 avril 2021 pour trouver une façon d’agir face à ses problèmes financiers. Depuis le 1er février, elle a entamé une procédure de restructuration en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC).

«Une université semblable au Radeau de la Méduse; une université incapable de penser à l’Ontario français; l’UL a investi massivement dans les programmes anglais; une université déconnectée des organismes culturels qu’elle a pourtant aidé à créer!», affirment les professeurs. Une fois tout cela dit, que proposent-ils?

Une université essentiellement francophone

Professeur agrégé et chef du Département de sciences religieuses de l’Université de Sudbury, Kornel Zathureczky a parti le bal. «On peut consolider les programmes. Mais on pourrait faire une partition de l’Université d’Ottawa et ouvrir un campus à Sudbury», propose-t-il.

Son collègue de la Chaire de recherche en histoire de l’Ontario français à l’UL, Serge Miville, prend la balle au bond. Il estime «qu’on n’a peut-être pas besoin de construire un autre édifice. Cependant, qu’on réfléchisse à la façon d’appuyer l’Université de l’Ontario français. On peut imaginer une structure qui permettrait de mettre en réseau des instances universitaires». 

Trois têtes valent mieux qu’une

Sans nécessairement établir une comparaison avec le réseau de l’Université du Québec, la professeure agrégée en sciences politiques de l’UL, Aurélie Lacassagne, rappelle que lors des états généraux sur l’éducation postsecondaire en Ontario il y a dix ans, l’une des recommandations était justement d’avoir un réseau d’universités francophones. 

Crédit : Rachelle Bergeron

Elle estime qu’avec la présence de la nouvelle Université de l’Ontario français (UOF), il pourrait y avoir des antennes, non seulement à Toronto, mais également à Hearst et Sudbury. Mme Lacassagne mentionne même au passage l’Université Saint-Paul, qui pourrait se joindre à ce triumvirat. Selon elle, s’il n’y avait qu’un seul registraire pour ces trois entités, «ça ferait des économies, on couperait dans le gras».

Avec la pandémie, le climat serait propice selon la professeure, car il serait surprenant qu’on revienne à des cours essentiellement en classe. «Le virtuel élimine les frontières», dit-elle, ce qui permettrait ainsi à des étudiants de s’inscrire au nord, même s’ils n’y sont pas nécessairement présents au quotidien. 

Se faire entendre derrière les portes closes

Reste qu’il faut se faire entendre. La récente table ronde a démontré, selon les cinq professeurs présents, que l’administration semblait travailler dans son coin, à l’abri des regards.

Le syndicat des profs de l’UL ne peut-il pas se faire entendre? «Pas juridiquement», répond  le directeur du Département de sociologie de l’UL, Simon Laflamme. Il explique qu’au moment où la décision a été prise de se mettre sous la protection de la LACC, un affidavit a été émis, faisant en sorte de contrer toute tentative de mesures contre l’UL. 

Crédit : Courtoisie de Simon Laflamme

L’UL confirme qu’en ce qui concerne la procédure de la LACC, «l’ordonnance du tribunal inclut, selon M. Rains, une suspension générale des procédures qui empêche les personnes de prendre des mesures à l’endroit de l’entité débitrice — l’Université Laurentienne dans ce cas-ci — afin de lui donner le plus de chance possible de se restructurer comme il se doit». Il prend la peine d’ajouter que «cette ordonnance ne concerne pas particulièrement un syndicat ou une partie; elle s’applique à toutes les parties à l’Université et à l’extérieur de celle-ci».

Une intervention de la ministre des Langues officielles au fédéral, Mélanie Joly, serait-elle envisageable ? «Surement, c’est trop gros pour qu’elle n’intervienne pas, assure le sociologue Simon Laflamme. Le recteur [Robert Haché] et son équipe ont perdu toute crédibilité.» 

Selon M. Laflamme, il y a un mouvement social qui se met en place. Couper des profs qui dirigent des doctorants, ça fait sans doute épargner des sous à une université, mais c’est aussi priver la société d’éléments «dont la moitié s’installe dans la région après leur diplôme», affirme-t-il. M. Laflamme s’occupe d’ailleurs de 73 doctorants.

Résister malgré tout

Pour certains, comme Aurélie Lacassagne, tout a commencé il y a une dizaine d’années alors que l’établissement a été transformé en «compagnie privée». «C’est difficile de ne pas tomber dans une certaine lassitude. C’est toujours les mêmes batailles, confie la spécialiste des sciences politiques. Et en plus, on se fait trahir par des gens de chez nous.» 

Bien qu’elle ait peur de perdre son poste à l’UL en raison de ses prises de position, Aurélie Lacassagne ne compte pas baisser les bras pour autant. «Je veux être capable de me regarder dans le miroir le matin», dit-elle. Pour elle, ce n’est plus le temps de se taire. Comme elle le disait à la fin de la table ronde en reprenant les vers de l’auteur Jean Marc Dalpé à l’endroit de l’UL, «votre silence en a fait taire plus d’un».