le Mercredi 29 mars 2023
le Dimanche 28 mars 2021 14:05 Arts et culture

Le jazz d’avant-garde avec un son franco-ontarien

Couverture de l'album <em>Hannah-Carillon </em>de Jean Cloutier
Couverture de l'album Hannah-Carillon de Jean Cloutier
Hannah-Carillon de Jean Cloutier

Le saxophoniste Jean Cloutier d’Ottawa a lancé son premier EP jazz, Hannah-Carillon, le 12 juin 2020 sur les plateformes numériques. Un ouvrage mélodique et complexe qui demande la pleine attention de l’auditeur, Hannah-Carillon est un album qui peut plaire à tous. Pas besoin d’être un aventurier de la musique jazz contemporaine d’avant-garde. Un ouvrage de cinq chansons remplies d’idées intéressantes et de rythmes du monde. 

Jean Cloutier est en nomination pour Meilleur EP, Meilleur artiste solo ou groupe – jazz et Meilleure prise de son et mixage au Gala Trille Or 2021. Le titre de son album, Hannah-Carillon, fait référence à deux rues d’Ottawa, dans le quartier Vanier, près du coin où il a composé cet ouvrage il y a environ 25 ans. 

Il fusionne le son du saxophoniste natif de Hull (Gatineau, Québec) avec celui de Franco-Ontariens, puisque ses quatre musiciens — Normand Glaude (contrebasse, basse électrique, harmonica), Michel Delage (batterie), Wolanya Akakpo (percussions) et Dominique Saint-Pierre (claviers divers et percussions, mais aussi à la programmation, l’échantillonnage et la réalisation) — s’identifient à la province anglophone. 

L’album exige le calme. Son instrumentation et sa palette de tons sont bien jumelées pour donner un EP rempli d’idées mélodiques qui transcendent les styles. Il faut simplement s’ajuster un peu. Il y a entre autres du jazz d’avant-garde qui peut confondre l’auditeur moyen avec des dissonances étranges. 

Tout de même un avertissement : les amateurs avides de jazz ne doivent pas s’attendre à un album traditionnel où l’on finit par entrevoir une mélodie et l’échange de solos entre camarades du groupe. Bien qu’il y ait quelques solos, principalement de Cloutier, l’album a tendance à se concentrer sur les mélodies complexes de son saxophone fluide et sur la façon que le groupe le complète comme il l’entend.

L’album commence avec L’ermite, une chanson qui alterne entre le temps strict et le temps libre avec une instrumentation vraiment intéressante. J’adore particulièrement le son du clavier de cette piste, une sorte de son Fender Rhodes qui convient parfaitement. 

Valse pour ma mère est une chanson construite sur ce qui est probablement l’échelle la plus atonale à laquelle nous pouvons penser en musique occidentale. Chaque note est séparée par un ton complet et ne répond pas à une racine spécifique. Il est en effet difficile d’improviser seul sur cette échelle pendant cinq minutes et Cloutier et ses camarades l’ont fait, une tâche qui est sûrement difficile à accomplir sans perdre intérêt. 

La troisième, Bagdad blues, se démarque. Il s’agit d’une chanson blues basée sur la gamme mineure harmonique, un son spécifique qui peut faire penser au Moyen-Orient. Un bel échange entre Cloutier et ses collègues, Bagdad Bues fait penser comment le blues a voyagé avant de se rendre jusqu’ici. Comment le blues a évolué entre Robert Johnson et John Coltrane. 

La quatrième chanson, Les deux, est plus intense et remplie de rythmes et de percussions du monde avec une ligne de basse répétée et dissonante, le saxophone de Cloutier s’élève à des points toujours aussi dissonants. Il s’agit d’un échange très intéressant avec le contrebassiste Normand Glaude. 

La dernière chanson, Un chat à la fenêtre, rappelle le smooth jazz qui a commencé à vraiment se faire entendre dans les années 1990. Néanmoins, il n’a pas manqué d’incorporer des éléments modernes dans sa composition. Ces collègues maintenant sur la basse électrique, des percussions électriques et claviers électroniques, l’album se termine sur un air nostalgique qui se distingue du ton général des autres compositions. 

Hannah-Carillon de Jean Cloutier est un album vraiment intéressant qui correspond bien à la scène jazz contemporaine et avant-gardiste d’aujourd’hui.

Je recommande vivement cet album à tous ceux qui aiment le jazz traditionnel et qui cherchent à remettre en question leur point de vue sur ce style. La vraie réponse, c’est que le fondement du jazz est en constante évolution. Et dire que cet album n’est pas du jazz parce qu’il ne correspond pas au son des grands classiques, c’est seulement nier le fait que ces grands artistes ont tous fait des progrès significatifs dans le genre. 

Les amateurs de jazz d’aujourd’hui peuvent préférer une époque ou un style spécifique, comme «hard bop», «cool» ou «swing», et c’est bien ainsi. Tant qu’ils comprennent que ce son avant-gardiste est également considéré comme du jazz au même titre que les autres. Il repousse les limites et les conventions du jazz traditionnel et c’est ce qui le rend spécial.

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Au cours des prochaines semaines, nous allons publier des critiques d’albums sélectionnés pour un ou plusieurs prix au Gala Trille Or 2021 de l’Association des professionnels de la chanson et de la musique (APCM), qui sera présenté le 29 mai.