La première phase de la restructuration de l’Université Laurentienne s’est soldée par un incroyable désastre académique, en particulier du côté des programmes en français et des professeurs qui les appuient. Depuis, la diffusion de divers documents déposés en cour permet de jeter un peu de clarté sur tout cela. Dans le présent texte, nous nous intéresserons aux critères qui ont été suivis pour sabrer dans les programmes de l’université.
L’affidavit du 21 avril 2021 du recteur aborde ce sujet. On y lit qu’une analyse de viabilité a été effectuée pour tous les programmes d’enseignement. Le recteur en décrit la méthodologie ainsi :
- Calcul des revenus et des couts associés à la livraison des programmes;
- Estimation générale de ces couts, comme suit :
- Comparaison du nombre de crédits requis pour compléter chaque programme et du nombre d’étudiants inscrits dans chacun d’eux;
- Détermination d’un point de bascule acceptable (acceptable cut-off) en matière de ratio étudiant / crédit pour les programmes en anglais et pour les programmes en français. Pour les programmes en français, le ratio est plus bas en raison des fonds externes reçus par l’université en appui à l’offre de programmes en français.
On a aussi pris en considération l’évolution des inscriptions de 2015 à 2020, la capacité des programmes d’attirer des étudiants, de même que d’autres couts liés à la livraison des programmes, par exemple les équipements. D’autres considérations sont aussi abordées en ce qui concerne les programmes en français, dont un financement pour le bilinguisme.
Il appert, donc, que le sort — la disparition — de 51 programmes d’enseignement a été déterminé sur la base de points de bascule dits «acceptables». Au premier cycle en français par exemple, où l’hémorragie a été la pire (20 programmes sur 43 disparus le 12 avril), on a déterminé le nombre d’étudiants requis, en moyenne, pour qu’un programme en français soit financièrement viable, pour ensuite éliminer les programmes pour lesquels le nombre d’étudiants inscrits était inférieur à ce point de bascule dit ‘acceptable’. Or, c’est ici que le bât blesse.
En effet, quiconque s’y connait le moindrement en gestion de programmes universitaires sait que les couts liés à la livraison de deux programmes en apparence identiques, sur le plan du nombre de crédits pour les compléter, peuvent être fort différents. En fonction de la manière dont ils sont gérés, notamment, certains programmes sont en réalité beaucoup moins couteux que d’autres. Ainsi, ils sont viables sur la base d’un nombre d’inscriptions nettement moins élevé que la moyenne. À preuve, il est aisément démontrable que certains programmes qui sont passés par la trappe le 12 avril 2021 étaient tout à fait viables, qu’ils n’auraient pas dû être éliminés et que l’université a affaibli sa propre viabilité financière en les éliminant!
Il aurait plutôt fallu établir les couts de livraison de chaque programme, puis les revenus générés par chacun d’eux, pour enfin statuer sur leur viabilité, individuellement, sur la base des deux étapes précédentes. Il s’agit d’opérations qui se font aisément, pour autant, bien sûr, que l’on sache ce que l’on fait. Comment est-il possible que plutôt que de procéder de la sorte, on ait opté pour une méthode aussi inadéquate que celle des points de bascule?
Oui, ça demande plus de temps, mais à quoi bon passer moins de temps à faire un travail bâclé pour cause de méthodologie inadéquate? Qui plus est, le temps d’analyse supplémentaire dû au choix d’une méthodologie adéquate n’est-il pas justifié par le but de ne pas léser des étudiants qui, aujourd’hui, ne devraient pas être à la recherche d’un autre programme parce que le leur a été éliminé par erreur? Ce qui a été fait par les «restructurateurs» est l’équivalent de couper de la soie avec une scie mécanique, avec, pour résultats, l’élimination de programmes pourtant viables financièrement et des étudiants lésés à la tonne. Quel gâchis…
Les questions ci-dessus se posent de manière encore plus criante lorsqu’on sait que l’Université Laurentienne reçoit un montant colossal, soit 12 000 000 $ par année pour appuyer l’offre de programmes en français. Le recteur mentionne que le point de bascule est moins élevé pour les programmes en français à cause de fonds reçus à l’effet tout juste mentionné. Fort bien. On serait cependant curieux de savoir quel était ce point de bascule et comment il a été calculé. Plus largement, comment l’Université Laurentienne dépense-t-elle le 12 000 000 $ en question?
Thierry Bissonnette
Gina Comeau
Denis Hurtubise