Nous sommes le 25 septembre, la journée où l’on célèbre le drapeau franco-ontarien. J’oublie l’année, mais certainement pas la réception, dans la salle Canisius de l’Université de Sudbury qui a suivi — ou précédé? — la levée du drapeau : Jean Marc Dalpé est (encore) de retour à Sudbury, comme s’il ne l’avait jamais quittée, comme s’il était chez lui, et il nous récite avec un aplomb et un plaisir évident Les murs de nos villages, le poème liminaire de sa première publication, son premier recueil de poèmes. Son «Icitte, c’est chez nous» résonne encore à mes oreilles.
Il faut dire qu’entre Jean Marc Dalpé et Sudbury, c’est une histoire d’amour qui dure depuis avril 1982, lorsqu’il est arrivé dans cette ville de roche et de poussière où «sous le poids des shifts de huit heures / La Coulson crie et braille» (Et d’ailleurs), parce qu’il vient de dire «oui» à l’aventure du Théâtre du Nouvel-Ontario (TNO) qui est dans le creux de la vague. Le printemps, n’est-ce pas la saison pour tomber en amour?
Avec Brigitte Haentjens, Jean Marc Dalpé va contribuer à la renaissance du TNO en misant sur le contact avec le public et l’animation culturelle. C’est que, pour lui, «[l]e théâtre en région, c’est la quête d’un théâtre qui se rapproche du monde, qui ne s’isole pas de la réalité quotidienne du public auquel il s’adresse en se refermant sur soi». Ces mots qu’il écrit en 1980 au sujet du Théâtre de la Vieille 17 qu’il vient de fonder en compagnie d’autres «théâtreux» comme lui sont tout aussi vrais pour son engagement envers le TNO.
À preuve, à l’automne 1982, le duo Dalpé-Haentjens est déjà prêt à présenter un premier spectacle : Un petit bout de stage; un spectacle de clown! Un franc succès avec plus d’une centaine de représentations en tournée. Le public a dit «oui», lui aussi, à Jean Marc. Le pacte est scellé. À la vie, à la mort : «Si demain quelqu’un vient me voir pis que le TNO meurt, je sais que je déciderais d’y aller et j’aurais pas le sentiment de retourner en arrière et puis de sauver des affaires juste pour sauver des affaires. Ça continuerait d’être un trip pour moi, d’être quelque chose de dynamique, de très vivant, quelque chose de très positif dans le voyage qui est ma vie.», confiait Jean Marc Dalpé à Jean Fugère dans un entretien publié dans la revue Liaison en 1989.
Au printemps 2021, ce n’est pas le TNO qui meurt, c’est une institution qui a nourri le TNO, Sudbury et toute sa vie artistique et littéraire. Que fait Jean Marc Dalpé? Il monte aux barricades. Combien de fois ai-je lu ces mots sur une affiche qui vantait l’éducation postsecondaire : «Apprendre c’est prendre… / c’est prendre de la place : sa place / Toute sa place / sans demander la permission.» Voilà, il faut un geste d’éclat. Jean Marc n’hésite pas et il retourne son doctorat honorifique à l’institution qui le lui a décerné (merci, Jean Marc!). Il s’engage dans la bataille d’une université pour et par les francophones à Sudbury.
Que fait Sudbury? Sa nouvelle Université libre du Nouvel-Ontario (ULNO) lui décerne un doctorat honorifique dans le cadre du congrès Franco-Parole III le 23 juin dans une convocation des clowns!
Mais comment expliquer cette histoire d’amour? Pour cet «ouvrier d’un dire», l’aventure sudburoise se vit au quotidien avec un «café noir chez Fred’s» ou au restaurant «The Girls», à observer «les visages des marchands de la rue Durham» ou «le vieillard en espadrilles devant Woolworth’s», ou un «après-midi de lavage / laundromat du Moulin à Fleur», avec «à l’ouest, Superstack [qui] s’allume et s’éteint» (Et d’ailleurs).
Sudbury, ville minière alors malaimée, en mal d’être aimée, inspire l’écriture. Après avoir été à la rencontre des gens qui l’habitent — parce qu’ils font du théâtre pour le public —, Jean Marc et Brigitte écrivent Nickel 1932. Une histoire d’amour sur fond de mine (1984). Ils ont Sudbury dans la peau.
Pour Jean Marc, l’aventure sudburoise va durer 7 ans (ou presque, de 1982 à 1988-89), tout comme le voyage initiatique de Jay dans son aventure américaine — «Sept ans de trips de fou». Un cycle qui va transformer le comédien/collaborateur à des créations collectives en un dramaturge désormais seul devant sa page blanche puisque s’il part de Sudbury, c’est pour se consacrer à l’écriture.
Mais a-t-il vraiment quitté Sudbury?
«“On ne sort pas indemne d’un séjour dans le Nord”, disait Jean Marc Dalpé en 1995, lors du lancement du disque audionumérique Cris et blues», rapporte Stefan Psenak dans Liaison.
C’était inévitable : l’histoire d’amour s’est poursuivie avec son retour sur scène comme lecteur de son roman Un vent se lève qui éparpille en 2003 — un autre trip de fou! — puis à nouveau en 2010, avec entretemps son retour sur scène en tant que comédien — il a vraiment encore Sudbury dans la peau — dans Slague, l’histoire d’un mineur en 2008.

Carte postale de Sudbury à Jean Marc Dalpé, où qu’il soit
Jean Marc, on t’aime! Et on ne pourra jamais assez te remercier pour tout l’appui que tu nous témoignes et tout le bien que tu as fait et que tu continues de faire. Ton engagement authentique et indéfectible est incrusté dans le paysage et il vibre au rythme du sol rauque et rocheux de Sudbury.
Tu as raison : «On ne réussira jamais à faire taire nos voix».
À la vie, à la mort!