le Mercredi 29 mars 2023
le Dimanche 25 juillet 2021 15:20 Société

Ce que les jeunes Autochtones apprennent des pensionnats

Connor Lafortune et Page Chartrand se connaissent depuis qu’ils sont tout jeunes. — Photos : Courtoisie Connor Lafortune
Connor Lafortune et Page Chartrand se connaissent depuis qu’ils sont tout jeunes.
Photos : Courtoisie Connor Lafortune

Connor Lafortune et Page Chartrand sont deux Franco-Anichinabés qui vivent en périphérie de Sudbury. Les deux amis de longue date ont accepté de partager leurs sentiments depuis les premières découvertes de tombes d’anciens pensionnaires d’écoles résidentielles, de ce qui leur a été transmis par leurs proches à ce sujet, de la manière dont ils entrevoient le futur et ce qu’ils pensent qui le rendrait meilleur.

Page Chartrand et Connor Lafortune se connaissent depuis qu’ils sont tout jeunes. Leur amitié s’est consolidée depuis deux ans, alors qu’ils suivaient tous les deux des cours au Département d’études autochtones à l’Université de Sudbury (UdeS).

Page a 20 ans. Elle est membre de la Première Nation des Kichesipirini, sur l’Isle-aux-Allumettes, dans la rivière des Outaouais à la hauteur Pembroke. Connor, lui, a 19 ans et appartient à la Première Nation des Dokis, au sud du lac Nipissing, dans le Nord de l’Ontario.

Si Connor a passé la moitié de sa vie dans sa communauté, Page a grandi «bien entourée de la communauté anichinabée», mais n’a pas grandi dans sa communauté d’origine.

Cet éloignement géographique ne l’a pas empêchée de s’imprégner de sa culture qui a toujours été présente pendant son enfance. À l’adolescence, elle a fait le choix d’accorder une place centrale à sa culture dans sa vie.

Pensionnats autochtones : une transmission douloureuse nécessaire

Bien qu’élevée à Sudbury sans lien direct avec sa Première Nation, lorsque Page a appris la découverte des tombes d’enfants autochtones, elle se préparait à participer à la marche traditionnelle anichinabée de l’eau au départ de Sudbury, en juin.

«On [a marché jusqu’à] Spanish, où il y a l’ancienne école résidentielle. [C’est là] que ma grand-mère m’a dit qu’un terrain appartenait à une partie de ma famille où se trouvait l’école résidentielle!»

«Elle m’a aussi dit que l’une de mes arrières-tantes […] avait enseigné à l’école comme francophone. Apparemment, elle faisait partie du personnel qui se conduisait bien. Elle enseignait la musique, je crois, mais les détails ne sont pas clairs. Il faudrait que je parle à mon grand-père pour en savoir plus. C’est juste bizarre de penser que ma propre famille a été impliquée dans un traumatisme que je ressens personnellement.»

Photo : P199 – Wikimedia Commons

Connor partage ce traumatisme. Impliqués, les deux amis ont à cœur de transmettre les connaissances sur les peuples autochtones. Par exemple, ils ont tous les deux participé au tournage de Pagayons ensemble, une webémission franco-ontarienne qui part à la rencontre de membres des Premières Nations, des Métis et des Inuit.

«Pour moi, la culture autochtone est quelque chose que je vis quotidiennement, c’est en moi, précise Connor. Ce n’est jamais quelque chose que je ne voudrais pas transmettre.

Certains disent que les jeunes ne devraient pas apprendre [au sujet des pensionnats] dès l’élémentaire. Ce qu’ils ne comprennent pas, c’est que les jeunes générations autochtones n’ont jamais eu le luxe de ne pas savoir [l’histoire des pensionnats]», précise Connor Lafortune

«Je ne crois pas que c’est de l’information qui devrait être cachée à cette génération ni aux prochaines. Ma mère m’a toujours parlé pour que je sois conscient de l’histoire et de ce qu’il se passe dans le monde par rapport à nous, comme personnes autochtones», poursuit-il.

La grand-mère de Connor et son arrière-grand-père ont tous deux fréquenté des pensionnats autochtones. Il explique que l’«unspoken rule» (règle tacite) qui régnait à la maison s’est peu à peu levée au fil du temps : «Ce n’est pas un sujet dont je parlais avec mes grands-parents ou mes arrière-grands-parents. C’est en partie dû au fait que ça a pris longtemps à ma grand-mère avant de comprendre qu’elle avait bien vécu cela. Elle m’a surtout expliqué le manque d’éducation complet qui émanait de cette école.»

Photo : Inès Lombardo

«Le droit d’être enfin en deuil»

En apprenant la médiatisation des découvertes successives des dernières semaines et à la suite des discussions avec leurs proches, Connor et Page étaient loin d’être surpris.

Connor revient sur ce moment si particulier : «Je savais que ça s’en venait. Ça blesse considérablement, comme vous pouvez l’imaginer. Mais on n’était pas surpris. On attendait simplement que la bombe tombe.»

Après un silence, son amie Page analyse : «Moi, je dirais qu’on est élevé sachant que c’est une réalité, que nos Ainés auraient pu être l’un de ces étudiants dans les photos qu’on voit sur Facebook, tu sais? Mais là, c’est comme si on se réveillait un jour, puis que tout le monde le sait enfin. C’est partout sur nos réseaux, dans les nouvelles, on voit de l’orange à tout bout de champ. C’est comme si on avait finalement le droit d’être en deuil, de ressentir toutes les émotions qu’on ressent depuis des années dans nos communautés. Avant, le public ne semblait pas croire que c’était, en fait, une réalité. C’est un peu comme si c’était la première fois qu’on peut connaitre un gros deuil national, dans le sens de communauté et pas comme pays», explique Page Chartrand.

Les alliés allochtones se dévoilent naturellement

Selon Connor et Page, dans la compréhension de ce deuil, les «alliés» non autochtones sont toujours les bienvenus.

«C’est certain qu’on a toujours besoin d’alliés, précise Connor. Dans ma Première Nation, une marche a été organisée le 1er juillet. On a rassemblé des membres de la communauté, mais aussi d’autres communautés environnantes non autochtones. J’ai eu beaucoup d’encouragements, du monde qui me demandait où ils pouvaient apprendre plus ou ce qu’ils pouvaient faire et si j’avais besoin de leur écoute. C’est là que tu peux voir les différentes visions, entre les gens qui se sentent offensés. Parce que le Canada, c’est cette belle place, puis les gens qui vivent cette réalité-là et qui comprennent que ce n’est pas le Canada dans lequel nous avons vécu. Je pense que c’est un bon moment pour voir qui est un vrai allié.»

Son amie Page abonde dans le même sens. «C’est toujours mieux de savoir qu’on a du soutien plutôt que d’essayer de bucher seul. Mais on sait quand même qu’il y a encore bien du monde qui refuse d’admettre, de croire ou de voir nos douleurs, nuance-t-elle. Cela dit, on ne met jamais trop d’accent sur eux. On s’inquiète de nos personnes, de nos communautés. On a ces douleurs donc on n’a pas besoin de s’occuper du monde qui ne veut pas s’occuper de nous.»

Tenter de s’éduquer : une question d’âge?

S’il y a un «monde» que Connor et Page voient comme plus ouvert à la compréhension de la réalité des pensionnats et des violences subies par les peuples autochtones, c’est celui de leur génération et celles à venir.

Page affirme que «les générations plus jeunes sont plus ouvertes à explorer des sujets qui les rendent moins à l’aise. […] Si je rentre dans l’environnement de la culture indoue par exemple, même si je ne la connais pas beaucoup, je suis consciente que si j’arrive là avec un bon esprit et un bon cœur, ils vont me recevoir d’une bonne manière puis je pourrais me rendre à l’aise.»

Connor abonde dans le même sens : «Notre génération et la prochaine comprennent le monde de façon plus complète qu’auparavant.»

Le travail d’éducation doit se faire tant auprès des allochtones que des Autochtones.

Page peut en témoigner : «Une grand-mère anglophone m’a fait des commentaires racistes, car j’ai la peau plus pâle et je parle français. Pour elle, je suis moins Autochtone que quelqu’un qui a été élevé dans sa réserve. Je ne veux pas mettre ce type de réflexion sur le compte de l’âge, car c’est une affaire d’idéologie, pas une question de génération.»

Connor, identifie aussi la question des milieux sociaux qui pèsent aussi dans la volonté de comprendre les évènements actuels. «Dans les villages non autochtones autour du mien, les gens […] ont plus de sensibilité aux causes autochtones que des personnes qui n’ont jamais réalisé que des peuples autochtones les entouraient.» 

«Et même dans les générations autochtones précédentes, de nombreux Ainés sont tellement brainwashés dans le sens colonial, qu’ils ne peuvent même pas comprendre leurs propres défis. Dans les écoles résidentielles, leur vision du monde a été forcée de changer. Ces pensées coloniales ont été forcées dans les cerveaux et abattues dans les corps. Ce traumatisme intergénérationnel a été transmis jusqu’à notre génération», dit Connor Lafortune.