le Vendredi 9 juin 2023
le Lundi 30 août 2021 15:13 Chroniques et blogues

Prendre sa place : le leg de Paulette Gagnon

Miriam Cusson, Artiste et doyenne de la Faculté des arts, ULNO
Prendre sa place : le leg de Paulette Gagnon
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Le 11 octobre 2017, au coin des rues Larch et Elgin, à Sudbury. Du jour au lendemain, un monument se dessine. Sur le site de la future Place des Arts, s’accumulent discrètement fleurs, poèmes, chandelles.

L’asphalte était encore intact. On attendait l’arrivée de la ministre Joly et la murale WALK SAFE DON’T SLIP surplombait le centre-ville comme un doux rappel quotidien.

Le décès de Paulette Gagnon a envoyé une onde de choc bien au-delà des rebords du cratère. Le deuil collectif résonnait d’un océan à l’autre. On en entend encore les échos aujourd’hui : «Qu’est-ce que Paulette ferait devant tout ça?»

Pour comprendre l’ampleur de son «impact», il faut aller à la rencontre de ses complices. Car, si son legs est si percutant, c’est grâce à son approche et son humanité. Comment recueillir tous les témoignages, recenser toutes ses notes en bas de page inscrites sur d’innombrables documents? Combien de boites d’archives de combien d’organismes pour rapatrier les détails de ce parcours trop impressionnant?

«Tout éclatait. Tout s’inventait.» – P.G.

Hearst, ON. Fin des années 1970. Dans ce petit village mythique où les francophones sont majoritaires, Paulette se met à œuvrer dans le milieu artistique dès l’âge de 16 ans. Son éveil culturel concorde avec la crise identitaire franco-canadienne, lorsqu’on balbutie l’Ontario français pour la première fois. Au centre culturel La Pitoune (nommé sans doute avec un clin d’œil à l’industrie forestière), on s’organise et on offre des formations artistiques.

On travaillait pour assurer une place pour la relève. Cette notion, Paulette la défendra avec conviction toute sa vie. Avec d’autres jeunes artistes, dont Louise Tanguay, Donald Poliquin, Richard Lachapelle et Laurent Vaillancourt, Paulette crée, écrit, produit des évènements, organise des festivals. Elle se joint à l’équipe d’animation régionale de Théâtre Action.

De 1982 à 1996, Paulette œuvre au Théâtre du Nouvel-Ontario (TNO) à Sudbury. Aujourd’hui, on connait surtout son travail comme administratrice. Cependant, son premier poste au TNO est celui de coordonnatrice de l’animation culturelle. Avec Brigitte Haentjens et Jean Marc Dalpé, qui travaillent pour rebâtir et professionnaliser la compagnie, Paulette s’affaire à rallier le public et desservir la communauté. «Elle était magnétique. Dès que tu la voyais, tu avais envie d’être autour d’elle, de travailler avec elle», affirme la directrice de la Galerie du Nouvel-Ontario, Danielle Tremblay. «Le TNO voulait s’inscrire dans sa communauté. Cette conviction a guidé les projets comme la Fête du Moulin à Fleur ou le spectacle Canada Bread

Laurie McGauley raconte les projets de Sticks and Stones, une collaboration entre le Centre de femmes et le TNO. «Un petit groupe de féministes radicales commençait à s’organiser pour occuper l’espace public. Paulette est arrivée comme un coup de vent. On faisait du théâtre de rue pour revendiquer nos droits. Paulette est venue à notre rencontre, nous a épaulées, nous a organisées. Elle était une force.»

Inspirée par le théâtre de l’opprimé d’Auguste Boal, la troupe prenait position sur des questions telles que l’accès à l’avortement, l’accès à l’éducation, la violence conjugale. «Il faut se rappeler qu’à l’époque, il y avait peu de recours pour les survivantes de violence, la police ne pouvait pas intervenir d’elle-même, les refuges publics n’existaient pas.»

«Il serait, pour moi, impensable de parler de Paulette sans évoquer sa vie personnelle puisque tout était interconnecté.» Militante et agente communautaire, Monique Beaudoin tenait à souligner qu’il ne s’agissait pas seulement d’un bourreau de travail. «Paulette était profondément amoureuse de la vie. Quand tu étais avec elle, elle était complètement attentionnée, qu’il s’agissait d’un ministre, d’un artiste ou d’une personne de la rue. Pour elle, il n’y avait aucune différence. C’était une mère dévouée aussi. J’ai un souvenir d’elle dans un champ ensoleillé, cueillant des framboises. Nous étions en route pour le chalet de Raymond (Lalonde) et Tomson (Highway). Elle parlait de ses enfants, de ses bons coups, de ses regrets. Comme si chaque baie qu’elle cueillait était une pensée pour eux.»

«Peu de gens auraient réussi à faire tout ce qu’elle a fait avec autant de succès et de crédibilité, en plus d’être mère monoparentale», dit Raymond Lalonde, ami de longue date. «Elle était incroyable, toujours fidèle à ses convictions. C’était une superwoman. Elle pouvait être intimidante, mais toujours d’une gentillesse sincère.»

Lors de notre conversation, Denis Bertrand est aux Îles de la Madeleine, assis sur une chaise que Paulette avait repeinte pour lui. «Nos chemins se sont croisés et recroisés à plusieurs reprises. J’avais embauché Paulette pour un mandat après son départ du Bureau franco-ontarien au Conseil des arts de l’Ontario. C’était intimidant quand on embauchait Paulette. Elle en savait plus long que toi.» Tous les deux feront partie de l’équipe qui a inauguré la Nouvelle Scène, à Ottawa.

«Je la consultais régulièrement. Son avis était précieux.» dit Robert Gagné, directeur administratif du Théâtre français au Centre national des arts. «Aujourd’hui, devant un défi professionnel, je me demande : Qu’est-ce que Paulette ferait?»

Selon Stéphane Gauthier, directeur du Carrefour francophone de Sudbury, «si tu avais accroché ta wagon à Paulette, tu devais avancer quand elle avançait. C’était une fonceuse. Tu ne voulais pas la décevoir, c’était plus fort que toi. Il fallait être à la hauteur, sans qu’elle le demande».

Si la Place des Arts voit le jour à Sudbury, c’est grâce au travail acharné de Paulette. C’est un acquis non négligeable pour la communauté artistique, pour le Grand Sudbury et pour l’Ontario français, qui viennent de vivre un dur coup avec la transformation brutale de la Laurentian University. «Qu’est-ce que Paulette ferait avec tout ça?».

Je l’imagine.

Elle se retrousse les manches, parle avec d’innombrables collègues, complices, connaissances.

Elle met de la pression sur les gouvernements.

Elle est dans la rue, les écoles, les centres communautaires, le réseau associatif.

Elle sort ses flipcharts, fait des muffins bios pour tout le monde.

Elle rappelle à tous qu’il ne faut pas baisser les bras.

Elle rallie.