Depuis l’adoption du projet du Kingsway Entertainment District (KED), en 2017, par le Conseil de la Ville du Grand Sudbury, il s’est dit et écrit des milliers, sinon des millions, de mots à son sujet. Malheureusement, dans cette ère de changements climatiques, très peu ont porté sur son impact environnemental, surtout de la part des hauts fonctionnaires et des membres du Conseil du Grand Sudbury.
Ces derniers ont cru bon, au début de 2021, de commander un nouveau rapport, au cout de dizaines de milliers de dollars, qui devait se concentrer uniquement sur le rapport du plan d’affaires de 2017 (Business Case Report) afin de déterminer si des changements avaient eu lieu quant à la viabilité du KED. Ils ont jugé bon de négliger complètement son impact environnemental ainsi que d’autres dimensions pertinentes.
Compte tenu du dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (https://canada.ca/fr/groupe-d’experts-intergouvernemental-changements-climatiques), rendu public lundi 9 aout, qui conclut sans équivoque que l’activité humaine est seule responsable des changements climatiques, ce geste de la Ville est, sans contredit, des plus irresponsables.
L’appropriation et le viol de la Nature (ce que les hauts fonctionnaires, les membres du Conseil, les entrepreneurs qui vivent aux dépens des contribuables appellent «développement») sont tributaires d’un mode de pensée — une idéologie — propre au XIXe et une partie du XXe siècles. Au XXIe siècle, cette idéologie est révolue.
À Sudbury, ce mode de pensée est responsable de la démolition, au cours des années 1960, de deux quartiers dynamiques — le quartier Borgia et celui composé des rues Verchères, Louis, Xavier, Ignatius, majoritairement francophone — afin d’y construire un monstrueux centre commercial appelé, à l’époque, City Centre. Il a aussi mené à la démolition du quartier Drinkwater pour faire place à une route nord-sud de quatre voies (du boul. Lasalle aux quatre coins) pour faciliter la circulation automobile.
De plus, pour couronner la culture de l’automobile, les hauts responsables de la Ville ont procédé à la démolition d’édifices historiques au centre-ville afin de les remplacer par des terrains de stationnement. Tout ça au détriment des piétons, mais surtout des commerçants locaux et indépendants de ce secteur. Cette idéologie a mené ces hauts responsables à promouvoir la construction de magasins à grande surface (avec une architecture insipide) en banlieues, propriétés de grosses corporations sans aucune racine dans la communauté. Ça se poursuit avec le KED, soit le même mode de pensée qui mène inexorablement vers la dévastation environnementale de la planète.
Si ces hauts responsables s’en fichent de l’impact environnemental du KED, comme ils l’ont démontré à maintes reprises, au moins quelques citoyens s’en préoccupent. Par exemple, M. Ian Berdusco a fait publier un article fort important (12 reasons to rethink the KED and six councillors who need an ego check, sudbury.com) pour montrer que le KED (raison #6) contribuera à 800 000 kilogrammes de CO2 additionnels dans l’atmosphère.
M. John Lindsay s’inquiète pour sa part des effets néfastes qu’aura la construction du KED sur la qualité de l’eau du lac Ramsey (KED moving ahead ignores realities, https://friendlysudbury.ca).
Inspiré par ces derniers, j’ai cherché à quantifier l’impact environnemental qu’aura le KED pour le Grand Sudbury. Pour ce faire, j’ai effectué les démarches et les calculs suivants :
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J’ai circulé, la plupart du temps en vélo, à travers la Ville du Grand Sudbury afin de mesurer les distances entre divers lieux entre, d’une part, l’aréna communautaire de Sudbury rue Elgin et, d’autre part, le site du KED;
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j’ai étudié la géographie (https://sudburylibraries.ca/en/wardmaps.pdf) et la démographie (https://phsd.ca/profiles-city-greater-sudbury-wards) des 12 quartiers de la ville
Ainsi, soixante-quinze pour cent (75 %) des résidents du Grand Sudbury (qu’ils soient au sud de la ville, à l’ouest du chemin Avalon à Minnow Lake, à l’ouest d’une ligne nord-sud définie par les rues Agincourt et Attlee au Nouveau Sudbury, à Vallée Est et Capreol) devront voyager, en moyenne, 16 kilomètres de plus aller-retour pour se rendre au KED, comparativement à l’aréna de Sudbury.
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Selon le rapport de PricewaterhouseCoopers (PwC), on s’attend à ce qu’il y ait 78 évènements à l’aréna et au centre évènementiel du KED qui attireront chacun, en moyenne, 4070 spectateurs. J’ai arrondi ce nombre à 80 parce que, selon le rapport, on s’attend à ce qu’il y ait de nombreux autres évènements de moindre taille au cours d’une année;
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Je présume que la très grande majorité des spectateurs feront un aller-retour au KED en véhicule motorisé (auto, camionnette/pick-up, véhicule utilitaire sport-VUS) contenant chacun, en moyenne, deux personnes. Compte tenu des 4070 spectateurs par évènement, au moins 2 000 véhicules se rendront donc au KED à chaque évènement.
Donc, soixante-quinze pour cent (75 %) des véhicules, soit 1500, devront voyager 1 920 000 – j’arrondis à 2 millions – kilomètres additionnels par année pour participer aux 80 évènements tenus au KED (1 500 x 80 x 16).
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Au Canada, la consommation moyenne de carburants par 100 kilomètres selon le type de véhicule est la suivante (auto : 9 litres; VUS – 11,5 litres; camionnette -13 litres) (https://rncan.gv.ca/consommation-carburants);
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Fondé sur un sondage non scientifique que j’ai effectué dans les grandes aires de stationnement à travers le Grand Sudbury, j’évalue que 75 % des véhicules à Sudbury sont des VUS et des camionnettes et que, par conséquent, la consommation moyenne de carburants de la part de l’ensemble des voitures qui circulent dans les rues de la ville est de 12 litres par 100 kilomètres.
Sur une base annuelle, les véhicules qui feront un aller-retour au KED consommeront donc 240 000 litres de carburants additionnels (2 000 000 de kms x 12 litres/100 kms).
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Compte tenu du fait qu’un (1) litre de carburant produit 2,3 kilogrammes de CO2, le nombre total de dioxyde de carbone déversé dans l’atmosphère à Sudbury pour faire cet aller-retour au KED sera de l’ordre de 560 000 kilogrammes ou 1 232 000 livres ou 616 tonnes US (https://rncan,gv,ca/transportation/efficacité-carburant);
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De plus, chaque véhicule en régime de ralenti (idling) pour 10 minutes consomme 0,25 litre de carburant. Par conséquent, 2000 véhicules au ralenti consommeront, à chaque 10 minutes, 500 litres de carburant à chacun des 80 évènements. Pour l’ensemble de ces évènements, cela signifie 40 000 litres de carburant et 92 000 kgs de CO2. Additionné aux montants précédents, le total de kilogrammes de dioxyde de carbone grimpe à 652 000 ou 1 434 000 livres/720 tonnes. C’est là un montant conservateur puisque, avec seulement deux entrées/sorties au site, on peut s’attendre à ce qu’il soit de beaucoup plus élevé.
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À ce montant, il faut ajouter toute l’énergie, calculée en CO2, qui sera requise pour la préparation du site, la production, le transport, l’installation des matériaux pour la construction de l’infrastructure nécessaire (déjà en place à l’aréna de Sudbury) et l’édifice. J’estime donc que le montant total de CO2 additionnel requis pour le KED est de l’ordre de 750 000 kilogrammes ou 1 653 467 livres/825 tonnes par année. C’est là l’équivalent de 825 vols aller-retour Toronto-Vancouver chaque année (https://CO.myclimate.org/en/flight-calculations/new).
En somme
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Soixante-quinze pour cent (75 %) des résidents du Grand Sudbury devront voyager, en moyenne, 16 kilomètres additionnels aller-retour pour se rendre au KED comparativement à l’aréna communautaire du centre-ville;
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À raison de deux passagers par véhicules motorisés, 2000 autos, camionnettes et VUS se rendront au KED pour chacun des 80 évènements prévus et y transporteront en moyenne 4070 spectateurs par évènement;
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Soixante-quinze pour cent (75 %) de ces 4070 spectateurs voyageront 2 millions de kilomètres additionnels par année. À raison de 12 litres par 100 kms, ces trajets exigeront 240 000 litres de carburant déversant ainsi 616 tonnes de CO2 dans l’atmosphère;
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En ajoutant les autres facteurs énumérés, 825 tonnes de dioxyde carbone additionnelles seront déversées annuellement dans l’atmosphère pour se rendre au KED, soit l’équivalent de 825 vols aller-retour Toronto-Vancouver.
Dans cette ère de changements climatiques sans précédent, l’ajout de 825 tonnes de CO2 additionnels et surtout superflus et injustifiés pour la construction du KED (étant donné qu’il existe déjà un aréna dont la rénovation nécessitera beaucoup moins d’énergie) constitue un manquement grave du devoir de la part des hauts responsables de la Ville du Grand Sudbury.
D’autant plus qu’en 2020, les membres du Conseil ont voté à l’unanimité que le changement climatique constituait une urgence. Ensuite en septembre de la même année, le Conseil a adopté à l’unanimité un Plan communautaire sur l’énergie et les émissions (Community Energy and Emissions Plan – CEED) dont les deux premiers objectifs sont de réduire le montant d’émissions de gaz à effet de serre et de réduire l’énergie.
En février 2021, la Ville a rendu publique, dans le cadre de ce Plan communautaire, la première étape de son plan de cinq ans pour combattre les changements climatiques. En dépit de ces mesures, en juin dernier, le maire et six conseillers ont décidé de poursuivre la construction du KED.
Dans sa section finale, le rapport de PwC assigne divers degrés de risque à trois projets : la rénovation de l’aréna communautaire du centre-ville, un autre projet situé ailleurs au centre-ville et le KED. Il conclut que la rénovation de l’aréna actuel comporte le risque le plus élevé. Toutefois, en abandonnant un paradigme du XIXe siècle (croissance, développement et business à tout prix) et en adoptant un paradigme adapté au XXIe siècle (décroissance, décarbonisation, gestion prudente des ressources de la Terre), il devient très évident que le risque le plus élevé doit être assigné au KED.
Bien que le Plan communautaire sur l’énergie et les émissions qu’a adopté la Ville récemment s’inspire de ce nouveau mode de pensée, il demeurera lettre morte aussi longtemps que le maire et six conseillers, soit une faible majorité du Conseil, refusent ardemment d’y adhérer comme le démontrent leurs votes en faveur du KED.
Il est donc impératif que les hauts fonctionnaires et la majorité des membres du Conseil adoptent un changement radical de perspective afin de gérer cette région d’une façon plus responsable et écologique. Mettre fin au projet du KED devient donc essentiel.
Donald Dennie
Donald Dennie est un ancien journaliste, un enseignant à la retraite ainsi que l’auteur du livre Une histoire sociale du Grand Sudbury, Sudbury, Éditions Prise de parole, 2017.