le Lundi 27 mars 2023
le Jeudi 23 septembre 2021 19:19 Éducation

Entrevue avec le recteur de l’Université Laurentienne

  Photo : Courtoisie
Photo : Courtoisie

Malgré ses récents passages à d’autres médias, Le Voyageur avait encore quelques questions pour le recteur de l’Université Laurentienne, Robert Haché. Nous voulions surtout nous concentrer sur les services en français ainsi que les relations avec les communautés francophones et autochtones. Nous en avions bien d’autres, mais voici les questions que nous avons eu le temps de poser et ses réponses, éditées pour des raisons de clarté et de concision.

Comment avez-vous personnellement traversé les derniers mois?

Je veux commencer par dire que les derniers mois ont certainement été difficiles pour tout le monde. On a eu à prendre des décisions très difficiles qui, même si elles ont été prises dans le but d’assurer la pérennité de l’institution, ont fait mal à beaucoup de gens. C’était aussi une situation humiliante pour notre administration. Je comprends que la plaie dans la communauté est encore vive et pour certains l’incompréhension de l’accord et le dépit sont les émotions qui dominent.

C’est la motivation qui me maintient. La motivation pour que l’Université Laurentienne soit capable de sortir du processus de façon soutenable pour avec un beau futur. J’y crois sincèrement. Nous avons tellement de gens fantastiques à l’université. Nous devons faire tout ce que nous pouvons pour assurer le futur de l’institution.

On a appris la semaine dernière qu’il y a eu une diminution de 33,12 % des inscriptions en première année à la Laurentienne. Vous aviez dit vous attendre à 30 %. Quel est votre analyse de ces données?

On ne pouvait pas embarquer dans un tel processus sans faire de projections sur l’impact sur les inscriptions. Les données du [Centre de demande d’admission aux universités de l’Ontario] sont les inscriptions qui passent à travers la province. Nous avons aussi un certain nombre d’inscriptions de l’international qui viennent directement à l’université qui améliore nos chiffres. D’un côté, c’est effectivement un défi d’avoir moins d’inscription. De l’autre, le taux d’inscription est un peu au-dessus de ce que nous attendions. Ça nous donne confiance que les étudiants continuent d’être intéressés aux programmes de la Laurentienne. Nous avons presque 8000 étudiants inscrits cette année. C’est ce qui nous motive plus qu’autre chose à restructurer l’université.

Plus exactement, à la première journée de classe, nous avions une diminution de 13 % du nombre d’étudiants à travers les quatre années. Bien sûr une plus forte baisse du côté des premières années. La baisse du côté francophone est de 10 % et un peu plus que 13 % du côté anglophone.

NDLR : Les étudiants inscrits aux universités fédérées à la rentrée 2020 comptaient comme des inscriptions pour la Laurentienne.

Le processus de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC) a été créé pour des entreprises. Est-ce que c’était nécessaire et approprié d’utiliser ce levier qui vous permet de garder beaucoup de secrets pour une institution publique qui devrait avoir une certaine transparence?

Les neuf mois avant le 1er février, quand je commençais à comprendre la situation financière, nous avons fait toutes les démarches pour trouver d’autres chemins pour redresser l’université. À la fin janvier, nous avions simplement deux choix : fermer les portes de l’université ou entrer dans le processus de la LACC. Je sais qu’il y a des membres de la communauté qui ne l’acceptent pas encore, mais je vous jure que c’était la situation. Ce n’est pas une décision prise de façon proactive, elle a été prise parce qu’il n’y avait pas d’autres choix. C’est le processus qui va nous donner une chance pour que l’université se réorganise de façon soutenable que les étudiants et la communauté méritent.

C’est un processus en fait public. Il y a des centaines de pages d’information qui sont listées avec la cour qui sont publiques. Il y a certaines choses du côté de la restructuration qui ont été faites par médiation par la cour. Mais les faits soulignant la situation et les étapes prises sont tous publics. 

Nous entendons dire que certains départements doivent réembaucher du personnel. Avez-vous trop coupé?

Ce n’est pas une question d’avoir trop coupé. Il y a des réembauches qui se font. Comme toute organisation, il y a des gens qui se joignent ou quittent au fil du temps, alors nous remplaçons des gens qui décident de partir. Nous sommes sur le point de lancer une revue détaillée des opérations de gouvernance qui va nous donner des recommandations sur la structure administrative et la gouvernance académique pour que l’on puisse apporter d’autres changements pour rebâtir l’université.

J’aimerais que vous m’expliquiez pourquoi l’Université Laurentienne serait péril si on enlevait, oui, tous les revenus liés aux programmes en français, mais aussi toutes les dépenses?

Toute la restructuration entamée, tous les plans mis en vigueur sont tous axés sur une université qui continue à servir les trois communautés. La Laurentienne a, depuis une décennie, parmi les plus hauts taux d’embauche dans la province. Ça, c’est relié au caractère bilingue de l’université, qui offre de forts programmes en français et en anglais, des opportunités de bilinguisme. Nous croyons que c’est essentiel au mandat de l’université et pour offrir une carrière fructueuse aux jeunes.

Si l’Université de Sudbury créait des programmes équivalents à ce qui a été coupé à la Laurentienne, est-ce que ça vous créerait des difficultés?

Je croirais sincèrement que non. Les programmes que nous avons coupés, c’étaient ceux dans lesquels les étudiants n’étaient pas intéressés. Je comprends que les chiffres ne nous sont pas favorables avec 28 programmes coupés du côté français. Ce qui est important de comprendre, c’est que 90 % des étudiants étaients inscrits dans les programmes qui continuent. Des 28 programmes coupés, il y en avait 10 qui n’avaient aucun étudiant enregistré dans les quatre années. Dans les autres, 160 étudiants à travers les 4 années de 18 programmes — 2 ou 3 étudiants par année. On doit trouver des façons d’appuyer la culture française dans le Nord de l’Ontario, mais je ne crois pas qu’offrir un programme de théâtre avec 2 étudiants, que ça supporte le mandat de la communauté. Il doit certainement y avoir de meilleure façon pour accomplir ce but et c’est quelque chose que nous allons maintenant être capable d’offrir.

Si le gouvernement s’impliquait comme pour les collèges dans les années 1990 pour créer une université francophone et vous appuyer dans la transition, est-ce que ce serait plus réaliste pour la Laurentienne?

C’est difficile de spéculer sur les motivations du gouvernement. Je peux dire que les universités ne sont pas organisées de la même façon que les collèges. Les collèges ont un système uni tandis que les universités sont des institutions indépendantes [responsables de leur propres programmes]. Je crois sincèrement que nous allons avoir l’appui de la province pour continuer notre mission. 

La Laurentienne a acheté le programme de gérontologie de l’Université de Huntington. Est-ce que ça ne serait pas une option pour l’Université de Sudbury de vous acheter les programmes en français? Donc vous auriez une compensation financière qui vous aiderait auprès des créanciers.

Il y a une forte différence entre les programmes qui sont offerts entièrement en ligne et les programmes offerts face à face. Nous avons acheté la version en ligne du programme de gérontologie. La façon dont ils sont développés, la propriété intellectuelle appartient à l’institution. Alors les professeurs sont payés pour développer la programmation. Dans ce cas, l’institution peut décider de vendre le programme avec tous les cours et les ressources qui vont avec.

Par exemple, le programme en Études autochtones de l’Université de Sudbury était en face à face. Nous n’étions pas capable de l’acheter, qu’ils auraient voulu nous le vendre ou non. Ce n’était pas une possibilité parce que la propriété intellectuelle des cours appartient aux professeurs individuels et non à l’institution. 

C’est la même chose de notre côté. Nous n’avons simplement pas le droit comme institution de vendre les programmes. Les chargés de cours aussi ont la propriété intellectuelle de la composition de leur cours. Ça fait partie de leur charge de travail. Pour un cours en ligne, ils sont payés en supplément.

Les francophones disent depuis les années 1970 qu’ils ne sont pas respectés à la Laurentienne. Que le poste de vice-recteur associé aux affaires francophones n’avait plus aucun pouvoir et n’était pas écouté. Que comptez-vous faire pour mieux écouter les francophones à l’intérieur de l’université?

Quand je suis arrivé à l’université il y a deux ans, je voyais moi aussi des différences [dans le traitement entre les francophones et les anglophones]. Tout ce que je peux vous dire, c’est ce qu’en tant que francophone qui a vécu en milieu minoritaire, je suis venu à la Laurentienne parce que c’était une université bilingue. C’est un mandat que j’appuis à 100 %. Je suis ici pour développer une université qui passe par-dessus les problèmes du passé et qui sert les deux communautés de façon appropriée.

En ce moment à l’université, il y a le recteur, le vice-recteur académique, le vice-recteur des finances et administration, les trois plus importantes positions de l’université, qui sont remplies par des francophones. 

Je reconnais les critiques qui ont été faites à la position d’associé du vice-recteur aux affaires francophones. Ce que je veux absolument accomplir, c’est d’avoir un meilleur service à la communauté, une voix qui sera plus forte dans la communauté universitaire.

Les communautés francophones et autochtones sont en colère et se sentent trahis. Comment croyez-vous être capable de rebâtir des liens?

Nous avons encore un conseil des communautés autochtones à l’université et nous travaillons de très près avec eux et ils ont exprimé très clairement leur désir de travailler avec la Laurentienne. Nous avons certainement du travail à faire avec les communautés autochtones, mais nous commençons sur une base où ils veulent continuer leur association avec l’université.

Je reconnais la passion de la communauté francophone et comment les changements ont été difficiles. Nous devons rebâtir la confiance et ça se fait une conversation à la fois en ne disant pas seulement ce que l’on va faire, mais en démontrant ce dont on parle.

Sur les ondes de Radio-Canada, vous avez seulement pu nommer les conseils scolaires comme groupes francophones qui voulaient encore travailler avec la Laurentienne. En même temps, le Conseil scolaire public du Grand Nord de l’Ontario (CSPGNO) a adhéré aux demandes de la Coalition nord-ontarienne pour une université de langue française. Est-ce que les contacts qu’il vous reste ne sont pas encore là seulement parce qu’ils n’ont pas le choix. Vous avez les programmes dont ils ont besoin?

Nous continuons à travailler avec les conseils scolaires parce que la relation est importante. Nous avons les programmes comme vous le dites et nous devons rebâtir les relations.

Si on regarde du côté des étudiants, un sondage fait au printemps par l’Association des étudiants francophones a démontré que 70 % des répondants ont dit préférer étudier dans une université bilingue.

Le deuxième plus ancien programme d’Études autochtones en Amérique du Nord n’est pour l’instant plus offert en raison de vos décisions et de celles de l’Université de Sudbury. Pouvez-vous préciser ce que vous avez annoncé. Est-ce vous avez l’intention de créer un nouveau programme d’Études autochtones?

En effet, nous avons l’intention de bâtir et agrandir notre programmation pour les étudiants autochtones. Je dirais de développer la prochaine étape de programmes que l’on doit apporter pour supporter nos étudiants autochtones. 

Nous sommes reconnaissant envers nos étudiants, nos professeurs, notre personnel et l’ensemble de la communauté pour leur patience et leur attachement à l’égard de l’université. On reconnait que le processus est difficile, mais on reconnait aussi que nous avons beaucoup à faire pour rebâtir la confiance et raviver la flamme et renouveler le sentiment d’appartenance.