le Samedi 27 mai 2023
le Dimanche 27 février 2022 9:43 Société

La Première Nation Nipissing appréhendent ce qu’on trouvera aux écoles résidentielles de Spanish

Ce qui reste de l’un des pensionnats de Spanish — Photo : Wikimedia commons
Ce qui reste de l’un des pensionnats de Spanish
Photo : Wikimedia commons
Nipissing — Ce moment est attendu depuis longtemps, mais il apporte autant d’angoisse que de soulagement aux survivants des écoles résidentielles de Spanish et leurs familles, dont plusieurs de la Première Nation Nipissing.

Le 4 février, on annonçait le début d’une initiative pour sonder les terrains des anciennes écoles résidentielles de Spanish au cours des 2 à 3 prochaines années afin de déterminer s’il y a des dépouilles d’enfants ensevelies à ces endroits. L’annonce a secoué les membres de la Première Nation Nipissing, car des générations d’enfants népissingues ont fréquenté l’une des deux écoles de Spanish. D’autres venaient du Manitoba, d’autres communautés nord-ontariennes et du Québec, formant la plus grande institution du genre en Ontario.

Il y avait une école pour les garçons et une pour les filles opérées de 1913 à 1965 sous l’égide des Jésuites, de la congrégation des Filles du Cœur de Marie et du gouvernement du Canada. L’initiative de recherche a été lancée par le Partenariat Nisoonag (trois canoës), qui réunit les Premières Nations de Serpent River, Sagamok-Anishnawbek et Mississauga. 

L’histoire orale entourant ces écoles compte des témoignages sur la disparition d’enfants. Ainsi, plusieurs membres de la Première Nation Nipissing (PNN) ont reçu l’annonce avec grande émotion. À la volonté d’enfin révéler la vérité se mélange l’angoisse de rouvrir des plaies profondes.

Le chef de la PNN, Scott McLeod, dit qu’il faudra soutenir les gens traumatisés tout en poursuivant la vérité. «C’est une bonne chose que le fédéral ait contribué 700 000 $ et que la province ait promis 900 000 $ pour cette initiative et que ces sommes comprennent un montant pour soutenir la santé mentale des survivants au cours de ce processus, ce qui est très important. Ce n’est pas assez, loin de là, mais au moins, il y a des fonds affectés à la santé mentale. C’est essentiel et ça aide nos survivants à guérir. Mais il faut aussi initier une discussion plus large. Je suis en faveur de rapatrier ces enfants et d’élucider cette affaire, mais je questionne les chefs de l’Ontario qui poussent pour faire ces fouilles. Nous avons parlé de la possibilité d’enquêtes criminelles… et je me demande si nous précipitons les choses, si nous n’agissons pas trop vite avant de savoir si nos actions risquent de nuire aux éléments de preuve dans une enquête criminelle.»

Le chef McLeod dit qu’il n’y a pas de preuve concrète, pour le moment, d’enfants locaux disparus à Spanish, mais il a entendu des histoires de survivants quant à des enfants qui ne sont jamais revenus. Cela mérite une enquête, selon lui. 

En plus de sonder les terrains pour déterminer s’il y a des enfants ensevelis, le chef voudrait aussi que les dossiers de l’église soient rendus publics. «Je me pose des questions sur ces dossiers. On dit que beaucoup des dossiers ont été perdus dans des incendies et beaucoup n’ont jamais été vus… On dirait que l’église a toujours été exemptée de toute obligation légale en ce qui concerne le partage de ses dossiers. Une enquête criminelle pourrait nous illuminer là-dessus en obligeant par assignation l’église à produire ces documents afin que nous puissions voir ce qui s’est vraiment passé. Tout porte à croire que les hauts placés du diocèse ne sont pas très coopératifs. Je ne blâme pas les fidèles ou les églises locales, mais les autorités religieuses», précise M. McLeod.

Il souligne que la hiérarchie ecclésiastique est aussi très réticente à avouer ses torts et présenter ses excuses. «Nous ne devrions pas être obligé d’envoyer une délégation de chefs au Vatican pour les supplier d’exprimer leurs remords. Cela devrait venir d’eux, naturellement et sans incitation, s’ils sont réellement repentants. Lorsqu’il faut exiger des excuses de quelqu’un, il faut se demander si c’est vraiment sincère.» 

Alors que des enquêtes criminelles viseraient les individus qui ont perpétré ces atrocités, elles révèleraient aussi les politiques internes de l’église et du gouvernement fédéral qui ont facilité les crimes en question.

Or, même si le chef McLeod croit à l’importance de faire éclater toute la vérité entourant les écoles résidentielles, il pense qu’il faut accorder autant d’importance aux réels impacts à long terme sur les communautés comme la sienne. 

«Le gouvernement veut parler seulement des survivants, mais la réalité dans notre communauté, c’est un dommage collatéral immense. Les traumatismes psychologiques touchent notre communauté entière sur des générations, des dizaines d’années à vivre avec ces séquelles, dit-il. Cela s’est concrétisé en problèmes sérieux dans nos communautés, autant pour ceux qui n’ont pas assisté aux écoles résidentielles que ceux qui sont allés et ceux dont les parents sont allés. Les dommages sont contagieux et se répandent dans nos communautés. Cela a créé des problèmes sociaux, familiaux et économiques que nous essayons toujours de surmonter. Il est donc naïf de penser que nous parlons seulement des survivants qui restent des écoles résidentielles.»

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Le chef McLeod ajoute que la société canadienne en entier reste empreinte des attitudes de l’époque de la colonisation et qu’il faut lutter activement contre ces attitudes bien enracinées. «Cette idéologie a été inculquée pendant longtemps aux autochtones et aux non-autochtones, ce qui mène à bien des problèmes politiques que nous connaissons aujourd’hui. Les gouvernements non autochtones ont juridiction sur nous du seul fait d’être blancs. Cela relève de la “doctrine de la découverte” et du concept de terra nullius, selon lesquels les blancs pouvaient s’emparer des terres lorsqu’ils sont arrivés ici parce qu’il n’y avait pas de blancs déjà installés.» 

Au Canada, tout territoire était considéré terra nullius (latin pour terre sans maitre) s’il n’était pas déjà occupé par des chrétiens. La «doctrine de la découverte» invalidait la souveraineté des peuples autochtones et donnait aux chrétiens blancs le droit de confisquer les terres et subjuguer les occupants autochtones.

Selon le chef McLeod, «cette doctrine perdure dans la société canadienne et dans la plupart des pays colonisés où l’on considère que les blancs sont supérieurs. Malheureusement, c’est de la suprématie blanche et notre pays a été fondé là-dessus».

Pour lui, c’est la partie «vérité» de «Vérité et Réconciliation». Pour avancer vers la réconciliation, dit-il, il faut affronter, reconnaitre et réparer cette dure vérité, peu importe ce que révèleront les recherches à Spanish.