le Dimanche 28 mai 2023
le Mercredi 13 avril 2022 14:43 | mis à jour le 13 avril 2022 14:44 Arts et culture

L’écho d’une introspection

Miriam Cusson — Photo : Loïc Gauthier Le Coz
Miriam Cusson
Photo : Loïc Gauthier Le Coz
Critique de la prodution du TNO : Aéroportée

Au cœur du texte Aéroportée de Matthew Heidi, traduit et interprété par Miriam Cusson dans le rôle d’une sorte d’écho d’Amelia Earhart avec une mise en scène de Manon St-Jules, se trouve une seule question : qui est Amélia Earhart? Cela ne veut pas dire pour autant que la pièce répond à cette question. Plutôt, le spectacle est une réflexion à ce sujet sous forme d’une mise en néant; un reflet d’un reflet de la célèbre aviatrice. 

Nous l’accompagnons alors qu’elle entreprend son dernier voyage : un tour du monde en avion avec, pour seule et unique compagnie, son navigateur alcoolique Fred, interprété par Roch Castonguay.

Le spectacle prend la forme d’un one-woman show. Le récit et le personnage sont incarnés par Miriam Cusson, seule sur la scène, avec trois outils : une petite lumière rouge; deux panneaux sur lesquels apparaissent, par moments, des projections et la voix de son navigateur. 

D’un point de vue purement technique, tout fonctionne à merveille : les projections donnent une impression du paysage et de la météo qui encadrent les évènements sans distraire; la lumière rouge qu’Amélia peut faire apparaitre ou disparaitre à volonté se transforme au besoin de la scène. 

L’interprétation de Fred était si juste dans le ton et le rythme que je me trouvais à me demander si c’était bien une performance en direct d’excellente qualité ou alors un enregistrement asynchrone très bien chronométré. Qu’il y ait eu lieu de douter était, en soi, un bon signe.

Le récit n’est pas un rapport fidèle de son dernier vol. Plutôt, c’est un voyage intemporel qu’observe le spectateur : Amélia vole d’un bout du monde à l’autre tout en visitant les moments de sa vie et de son enfance qui ont marqué son parcours. 

Le spectacle prend une tournure brechtienne lorsque l’on réalise que l’on observe Miriam, l’interprète et la traductrice, qui joue à être Amélia, la femme, qui elle-même joue à être Amélia Earhart, l’héroïne. 

Son monologue n’est pas adressé aux spectateurs : il s’adresse à elle-même. Le récit, c’est l’histoire qu’Amélia se raconte, isolée soit dans le ciel, ou dans sa propre tête, ou même dans l’époque où elle vit, afin de justifier ses exploits qui, en vérité, ne sont pour elle qu’un jeu. 

L’intrépide pionnière qui fracasse les records et affronte les préjugés de son époque est un personnage auquel joue Amélia, la petite fille, pour conférer un sens à sa vie et un moyen de gagner. Mais elle n’est pas une narratrice fiable : souvent, elle fabrique ou elle déforme. Par moment, il y a même lieu de douter si son navigateur est bien présent avec elle ou s’il n’est pas plutôt une représentation des hommes de son époque : soul, méprisant et arrogant.

Au final, Aéroportée est une exploration de ce que ça veut dire d’être femme dans un monde dominé par les hommes, mais aussi ce que ça veut dire d’être une héroïne tragique. Si Amélia doit son succès à son audace, sa persévérance et sa témérité, elle y doit aussi sa mort. 

Miriam réussit, grâce à son oreille poétique et son interprétation énergique, à rendre cet écho d’Amélia accessible, même dans son solipsisme. Parfois, la pièce a quelques longueurs ou une répétition en trop, mais ce sont des exceptions. Le spectacle permet une dose d’introspection bien appréciée après presque deux ans sans théâtre en personne et vaut bien le voyage.