le Mardi 6 juin 2023
le Jeudi 14 avril 2022 11:01 | mis à jour le 14 avril 2022 11:23 Chroniques et blogues

Le droit de ne pas être ignoré

Le rapport Le droit de lire : enquête publique sur des questions touchant les élèves ayant des troubles de lecture — Photo : Shutterstock
Le rapport Le droit de lire : enquête publique sur des questions touchant les élèves ayant des troubles de lecture
Photo : Shutterstock
Une analyse en trois parties de la traduction du rapport Le droit de lire : enquête publique sur des questions touchant les élèves ayant des troubles de lecture de la Commission ontarienne des droits de la personne par la professeure d’orthophonie Michèle Minor-Corriveau.
Le droit de ne pas être ignoré
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​​J’avais hâte de lire le rapport de la Commission ontarienne des droits de la personne (CODP) sur le Le droit de lire : enquête publique sur des questions touchant les élèves ayant des troubles de lecture lorsqu’il a été présenté. Nous l’attendions depuis un bon moment. Malheureusement, le résultat final est loin d’être à la hauteur des attentes du milieu de l’éducation en français. À partir des consultations avec les experts, les Facultés d’éducation et le personnel enseignant jusqu’à la traduction, en passant par les concepts mentionnés, très peu de démarches ont été prises en pensant aux francophones. Tellement, qu’il faudra plus d’un texte pour les énumérer.

J’étais au début très rassurée par le fait que des experts dans leurs domaines respectifs aient été consultés. Toutefois, il y a eu un glissement important. Malgré la similitude dans les typologies du français et de l’anglais, l’enseignement de la lecture dans ces deux langues ne suit pas forcément les mêmes étapes et ne dépend pas des mêmes outils pour y arriver. 

En plus, les conseils scolaires de langue française ne suivent pas le même programme-cadre. Ces programmes-cadres ne sont pas semblables sur le plan du contenu ou de la forme. Vous pouvez consulter les différences du curriculum de l’Ontario en ligne si vous êtes curieux (Programme-cadre du curriculum de l’Ontario; English Language Arts Curriculum). 

Une photo incluse dans la version française du rapport Le droit de lire.

Photo : Capture d'écran/Getty images

À même le titre du rapport d’enquête, les différences et les manquements sont évidents. Dès la page 6, il y a une belle photo d’un élève tenant une pancarte qui dit : «1st day of kindergarten». Un graphiste aurait pu modifier l’image pour y ajouter un message en français. 

Et ce n’est pas le seul exemple d’image en anglais dans la version française du rapport. N’auraient-ils pas pu être un peu plus inclusifs, à tout le moins en utilisant des visuels auxquels les francophones pourraient s’identifier, qui reflètent la perspective des élèves francophones? 

Cela aurait-il été satisfaisant ou suffisant ? Bien sûr que non. Cela aurait pu témoigner d’un effort pour inclure — à tout le moins — les perspectives des francophones dans ce document. Peut-être les réactions auraient-elles été un peu moins fortes.

Les mauvaises excuses

Faut-il conclure que l’enquête sur le droit de lire n’a pas inclus la perspective francophone? Effectivement, c’est ce que la Commission ontarienne des droits de la personne a confirmé. 

Aucun conseil scolaire ou école des sciences de l’éducation en langue française n’a été inclus pour témoigner de la réalité de l’enseignement que reçoivent nos enfants et des outils dont dispose le personnel enseignant. Un porte-parole de la CODP a déclaré que l’inclusion des francophones dans leur enquête aurait nécessité une tout autre initiative et que cela aurait donné lieu à un rapport très long s’ils l’avaient fait.

L’importance d’une enquête d’aussi grande envergure pour les anglophones est bien sûr justifiée. Pourtant, on se soucie du fait que l’inclusion du volet francophone aurait ajouté au temps d’enquête ou à la longueur d’un rapport alors que le rapport complet, lorsque copié et collé dans un logiciel de traitement de texte, dépasse déjà les 500 pages, peu importe la langue. Pourtant, l’objectif ultime n’est-il pas de revendiquer le droit de lire de TOUS les enfants de la province ?

Le porte-parole a également déclaré qu’il aurait été impossible d’examiner toutes les langues parlées en Ontario. Un certain premier ministre a déjà utilisé une excuse similaire, au grand désespoir de la communauté franco-ontarienne. 

Rappelons que le français est la seule autre langue officielle au Canada pour le moment et qu’il n’y a pas d’écoles financées par les fonds publics dont la langue de scolarisation est autre que le français ou l’anglais. Il est peu prudent d’avoir intentionnellement évité une population aussi importante. Il est étonnant, voire choquant, d’entendre une telle déclaration de la part de la CODP, qui devrait être au courant de la différence. Ce type de déclaration ne va-t-il pas à l’encontre du mandat de la CODP?

Les programmes de lecture

Sur le plan linguistique, le français et l’anglais partagent des typologies semblables, ce qui favorise un certain partage translinguistique des compétences entre ces langues lorsque les élèves apprennent à parler et à lire. Les élèves qui fréquentent les écoles de langue française exemplifient ce constat et leurs compétences langagières s’en enrichissent lorsqu’elles sont exploitées de manière équivalente par une exposition fréquente aux deux langues, à l’oral et à l’écrit.

Le document en langue française se prononce sur une panoplie de programmes de lecture, tels que SRA Open Court Reading, Wilson Fundations, Firm Foundations, Remediation Plus, SRA Early Interventions in Reading Skills, Empower Reading, SRA Reading Mastery and Corrective Reading, SpellRead, Wilson Reading System, Lindamood Phoneme Sequencing, ABRACADABRA et bien d’autres.

«Il faut cesser de sous-estimer l’importance de porter attention aux auteurs qui ont créé les livres, les critères qui ont été suivi pour respecter la progression des apprentissages à tous les plans.»

Photo : Shutterstock

Bien que les programmes de lecture destinés à être utilisés avec la population francophone soient peu nombreux, il en existe bien quelques-uns, mais aucun d’eux n’a été évalué. Une consultation auprès de ceux qui ont étudié les programmes qui existent en français aurait révélé cette lacune et soulevé un constat important : plusieurs ressources qui servent à évaluer nos enfants, telles que GB+, entre autres, sont traduites de l’anglais — PM+ Benchmark — et n’ont pas bénéficié d’une véritable adaptation, ce qui rend désuètes les normes établies ainsi que leur usage dans les écoles de langue française, sans parler du fait que les traductions, même non adaptées, conviennent souvent mieux à des populations où le français est la langue de la majorité qu’à des francophones scolarisés en milieu linguistique minoritaire. 

La grille d’évaluation qui accompagne cette série est effectivement fondée sur un système d’analyse des erreurs de parcours qui est ancré dans ce qui est à éviter au stade où la lecture est en émergence, soit le système à trois indices : pour corriger ses erreurs, l’élève est incité à se fier au sens, à la structure et aux indices visuels. Dans les trois cas, une maitrise incomplète des correspondances lettres-sons n’aidera pas à développer cette compétence chez les apprenants qui sont souvent exposé à des livres pour lesquels ils ne sont pas aptes à décoder tous les mots sans évoquer les règles lexicales ou de grammaire qui entrent en jeu, mais pour lesquelles l’enseignement se poursuivra pendant plusieurs années et, pour certaines règles, toute la scolarité. 

Il faut cesser de sous-estimer l’importance de porter attention aux auteurs qui ont créé les livres, les critères qui ont été suivi pour respecter la progression des apprentissages à tous les plans (correspondance graphophonémique, règles lexicales, règles syntaxiques, niveau de vocabulaire, structure de phrase) les critères d’étalonnage des données probantes lorsque disponibles lors de la sélection de livres à privilégier pour enseigner à nos jeunes à lire. 

Critiques à l’égard de conseils scolaires (de langue anglaise) 

Le rapport Le droit de lire présente de nombreuses critiques à l’égard des conseils scolaires. Bon nombre des questions ou des domaines dans lesquels on a soulevé des lacunes chez les conseils scolaires qui ont participé à l’enquête sont en fait des forces relatives pour certains conseils scolaires de langue française. 

Il est dommage que les conseils scolaires francophones n’aient pas eu l’occasion de partager leurs forces relatives à la collecte de données, à la génération de rapports d’analyse ou au pistage du progrès des élèves, entre autres. Cela aurait été un excellent moment de favoriser les partenariats interinstitutionnels dans une perspective qui aurait favorisé une approche  plurilinguistique. 

La semaine prochaine : quelques exemples de la traduction douteuse du rapport.

 

Michèle Minor-Corriveau a obtenu une maîtrise ès sciences de la santé en orthophonie de l’Université Laurentienne en 1998. Elle est membre en règle de l’Ordre des audiologistes et orthophonistes de l’Ontario (OAOO). Depuis 1998, elle a travaillé auprès des enfants d’âge scolaire ayant des difficultés ou un trouble du langage et/ou de la parole.