Dans le texte qu’elle avait écrit pour la revue The Conversation, Chantal Mayer-Crittenden soulignait que plusieurs études démontrent que l’utilisation de cette technique d’enseignement fonctionne.
«Le translangage est souvent perçu par les éducateurs comme une menace qui pourrait mener à l’assimilation. Pourtant, plusieurs études montrent que lorsque les élèves sont autorisés à utiliser toutes leurs langues, l’apprentissage se fait plus facilement, plus rapidement et dans toutes les langues parlées. […] En effet, les langues parlées par un individu sont interdépendantes; elles n’existent pas de manière isolée dans le cerveau. L’apprentissage dans une langue se transfère à une autre.»
Le translangage a au moins deux significations. À l’école, il désigne une façon d’enseigner qui permet à un élève d’utiliser sa langue dominante (souvent l’anglais en Ontario) pour certaines tâches afin de mieux comprendre puis produire un travail final dans la langue d’apprentissage.
Des expériences où l’on se reconnait
Les chercheurs Jasone Cenoz et Durk Gorter cités par Chantal Mayer-Crittenden soutiennent qu’il faut adopter une nouvelle vision de l’apprentissage des langues dans un contexte de mondialisation et où la langue la plus utilisée à la maison n’est plus la langue d’éducation.
Dans l’une de leurs analyses du translangage, on peut facilement remplacer toutes les références à la langue minoritaire basque par «le français en Ontario» sans perdre une goutte de sens et de vérité. Deux langues moins ridiculisées qu’avant, considérées comme un avantage pour la recherche d’emploi, qui peuvent être utilisées dans les travaux universitaires… Mais aussi une langue très peu utilisée à l’extérieur de la salle de classe, une population largement bilingue, etc.
Il y a quand même quelques distinctions à faire : la langue basque est plus utilisée dans ses régions d’origines — autour de 20 % contre 6 % pour le français en Ontario. De plus, le basque est une langue régionale tandis que le français est une langue internationale.
Cenoz et Gorter ne parlent pas d’un miracle, mais d’un modèle qui doit constamment gérer l’équilibre entre les deux langues et qui comporte aussi bien des risques que des bénéfices.
Pour eux la recherche de la «pureté» de la langue est contreproductive, car elle est source d’insécurité linguistique. Il faut permettre un certain transfert de mots, mais aider à les identifier et reconnaitre leurs places dans les interactions sociales.
Les chercheurs énumèrent plusieurs conditions pour que l’enseignement par le translangage fonctionne, y compris des espaces où la langue minoritaire doit être exclusivement utilisée et une bonne dose de construction identitaire.
Le translangage a été utilisé avec succès pour la langue Welsh en Angleterre et le Māori en Nouvelle-Zélande. L’utilisation était différente dans les deux cas, mais les résultats étaient les mêmes : une meilleure connaissance de la langue minoritaire.
«Une bonne utilisation de l’enseignement par translangage ne règlera pas la question de la vulnérabilité des langues minoritaires. Mais il peut fournir les bases d’une nouvelle discussion sur les défis auxquels elles font face au 21e siècle à la lumière des nouvelles recherches en multilinguisme», écrivent-ils.
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Michèle Minor-Corriveau est professeure d’orthophonie à l’Université Laurentienne
Un pour
Une collègue professeure d’orthophonie de Mme Mayer-Crittenden, Michèle Minor-Corriveau, appuie l’utilisation du translangage. Pour elle, il y a suffisamment de recherches qui démontrent que, malgré les craintes et les risques, ça peut fonctionner.
«Dans la réalité, 75 % de nos enfants arrivent en maternelle de foyers où on parle très peu français», rappelle la professeure. Elle voit le translangage comme une façon de mieux intégrer cette majorité. Sinon, l’autre solution qui s’offre aux conseils scolaires serait de ne plus les accepter.
Elle s’inquiète de la façon dont les enfants sont «jugés» et notés sur leur utilisation de la langue à l’école. Une contrainte qui n’existe pas dans les écoles anglophones «même si la langue dominante du jeune est le mandarin ou une autre».
Cette note mêlée à d’autres expériences négatives face à leur français contribue à l’insécurité linguistique et au départ de certains vers le système anglophone, dit Mme Minor-Corriveau. «Je comprends que l’idée de départ était de préserver la qualité de la langue, mais maintenant, on est rendu ailleurs.» Malgré les bonnes intentions de départ, le résultat n’est pas celui que le ministère de l’Éducation et les francophones désiraient.
Elle compare l’utilisation du translangage à un adulte bilingue qui apprend une troisième langue. Il devra d’abord utiliser ses connaissances dans ses deux autres langues pour acquérir le vocabulaire de la troisième. Dans le système d’éducation français en Ontario, plusieurs élèves en sont à ce niveau et ils ont besoin de leur anglais pour apprendre le français.
«Quand on l’observe, on est capables en tant qu’adultes qui maitrisons les langues, de l’aider à faire le pont et de donner le modèle, mais pas dans l’esprit où c’est de la correction. Toutes les théories sur l’acquisition des langues s’entendent pour dire à quel point ça, c’est important.»
Elle ne croit pas que l’utilisation d’une méthode de translangage pour l’enseignement apportera plus d’anglais dans les écoles, du moins pas plus qu’il y en a en ce moment. Ça pourrait par contre attirer encore plus d’élèves.
«Ça ne veut pas dire que l’enseignante parle anglais, ça veut dire qu’elle donne les outils, les mots, dont l’élève a besoin et de ne pas brimer la confiance quand l’élève doit utiliser un mot en anglais [parce qu’il ne connait pas le mot en français]. Ça commence en enlevant la catégorie “utilisation du français oral” dans les bulletins, parce qu’elle ne sert à rien, sauf dire à l’élève qu’il n’est pas assez bon.»

Anita Corriveau est enseignante et directrice d’école à la retraite.
Retour à la base
L’ancienne professeure et directrice d’école, Anita Corriveau, préfère voir le français prendre toute la place. À l’inverse de ceux qui prônent l’utilisation du translangage dans l’enseignement, la solution pour elle est d’arrêter d’accepter les inscriptions d’enfants qui ne parlent pas déjà français avant la maternelle.
«Il faut arrêter de prendre nos écoles de langue française pour des écoles d’immersion», croit la résidente de Nipissing Ouest. En partie pour cette raison, elle ne croit pas que le translangage est approprié dans les écoles de langue française de l’Ontario
«Quand j’ai ouvert ma première école de langue française à Barrie, j’avais un contrat avec les élèves et les parents de parler français partout, dans l’école, dans la cour. Ça a marché tant que moi j’étais à la direction», raconte-t-elle. L’entente a disparu quelques années après son départ, après qu’un journal local ait écrit un article affirmant que l’anglais n’était pas bienvenu à l’école.
Mme Corriveau considère que les anglophones ne comprennent pas ce qui est en jeu dans les écoles de langue française. «Tu es là pour perfectionner ta langue, apprendre de nouvelles connaissances dans ta langue» et connaitre ta culture, pas pour de l’avancement professionnel. Elle n’a pas hésité dans le passé à suggérer à des parents de transférer leur enfant en immersion pour qu’il soit plus à l’aise et heureux.
«Ça me choque quand on prend [tous les francophones] pour des traducteurs.» Elle prend l’exemple de sa petite-fille qui est en maternelle et qui a déjà compris qu’elle ne voulait pas être celle qui devait enseigner le français aux non-francophones de sa classe, raconte-t-elle.
La solution pour Anita Corriveau est de séparer les élèves selon leur niveau de français. «Le système d’immersion, quand il a été créé, aurait dû être sous la gouverne des écoles de langue française.» Si c’était fait aujourd’hui, les élèves auraient accès à un système mieux adapté et les conseils scolaires francophones garderaient un nombre élevé d’élèves pour assurer leur financement.
Michèle Minor-Corriveau n’est pas contre cette idée, mais le financement actuel basé sur les nombres pourrait désavantager encore les écoles de langue française. L’approche n’est pas assez inclusive non plus.