À l’intérieur de mon coffre en cèdre se cache un trésor inestimable. Des couvertures rangées soigneusement représentent pour moi un matrimoine d’une très grande valeur. Je choisis le terme «matrimoine» plutôt que «patrimoine», puisque ces articles sont le produit des mains de femmes.
Il y a deux grosses couvertures faites de laine d’habitant tissées par ma grand-mère et mon arrière-grand-mère en plus d’une courtepointe, piquée par ma mère, où je reconnais les retailles des vêtements portés par les membres de la famille. S’ajoutent au lot mes récentes acquisitions, soit deux catalognes bariolées que j’ai reçues en cadeau d’une amie que j’adore.
Au mois d’octobre, je suis allé à Elliot Lake avec mon conjoint, dans une fourgonnette louée, pour effectuer un genre d’opération de sauvetage. Le but du déplacement était de récupérer deux métiers à tisser de la guilde du Club des Ainés L’Étoile d’or.
Pendant plus de 40 ans, une trentaine de femmes francophones se donnaient rendez-vous pour tisser les objets du quotidien ménager : napperons, tapis, linges à vaisselle et couvertures. Pour plusieurs d’être elles, c’était un prétexte pour sortir de la maison, se changer les idées et se retrouver entre femmes.
C’est là où j’ai rencontré Jeannine St-Gelais, 86 ans, tisserande aux mains de fée. Au fils des ans, madame St-Gelais a fabriqué des centaines de pièces distribuées auprès de ses enfants et de sa famille. Elle avait un air songeur en cet après-midi pluvieux d’octobre, au moment où nous sortions du local les deux métiers qui allaient prendre la direction d’Alban, dans la région de la Rivière des Français.
«J’ai passé beaucoup de temps ici avec les métiers. C’est triste, mais il n’y a plus personne qui s’intéresse à ça. Il faudrait que la prochaine génération apprenne à tisser pour que ça continue», affirme Mme St-Gelais, un soupçon de nostalgie dans les yeux.

Le tissage est une technique artisanale qui remonte à l’Antiquité. Les peuples autochtones au Canada pratiquaient cet art manuel bien avant que ne traversent les premiers métiers à tisser à bord des navires venus de France au XVIIe siècle.
Après mes grand-mères et mes arrière-grand-mères, c’est maintenant à mon tour de faire ma part pour conserver cette tradition ancestrale. J’ai toujours été fascinée par le mouvement du métier et par le vocabulaire… les mots utilisés pour décrire cet univers méconnu.
Installé sur un banc en érable, les pieds sur les pédales pour faire monter et descendre les cadres à lames dans un jeu de corde réglé et contrebalancé, il suffit de faire glisser, de la droite vers la gauche, la navette entre les fils de chaine pour ensuite frapper le battant pour serrer la trame. Des mots comme : ourdissoir, caneteuse, peigne envergeur, rouet, flute, maillon, ros, harnais, ensouple et baguette d’encroix, sont des vestiges du passé qui font voyager mon âme.
Malheureusement, les temps actuels ne sont pas aussi tendres et poétiques pour cet art millénaire qui traverse un moment difficile en raison du manque de relève. Récemment, le groupe des tisserandes de la Rivière des Français s’est aussi dissocié, faute de participantes.
La situation à Elliot Lake n’est donc pas unique. Mais, j’ai promis aux dames là-bas de leur donner un coup de main pour faire en sorte que les autres métiers trouvent un foyer d’accueil.
Avis aux intéressées : il y a un métier de 60 pouces et un métier de 102 pouces de marque Clément à vendre. Ils sont en bonne condition et pourront procurer des heures de plaisir à leur futur propriétaire. Si ça vous intéresse, voici l’adresse pour obtenir plus d’information : northshoreadvertising@gmail.com.

