Le 23 avril était présentée la toute dernière pièce de théâtre en français à l’Université Laurentienne : Quoi si moé ‘ssi j’viens du nord ‘stie. La collaboration entre le maintenant défunt programme de théâtre et le Théâtre du Nouvel-Ontario devait marquer à sa façon les 50 ans de la pièce Moé j’viens du Nord ‘stie, qui a donné l’élan à la prise de parole franco-ontarienne des années 1970. Le pari a-t-il été réussi?
Nous avons demandé à deux membres de la pièce originale, Denis St-Jules et Thérèse Boutin, ainsi qu’à notre critique de théâtre en résidence de la génération des étudiants, Isaac Robitaille, d’écrire ce qu’ils ont pensé de la pièce de théâtre devenue vidéo, de la célébration devenue production finale.
Denis St-Jules
J’ai eu le privilège d’être parmi les quelques 400 personnes qui ont assisté virtuellement à la première mondiale de Quoi si moé ‘ssi j’viens du nord ‘stie, une coproduction du Théâtre du Nouvel-Ontario et du Programme de théâtre «d’une certaine université» pour citer Marie-Pierre Proulx, directrice artistique du TNO.
Les actuels étudiants en théâtre, dans le cadre d’un cours, avaient à faire écho à la démarche des membres de la troupe de 1971, mais refléter les préoccupations de leur époque… et il n’en manque pas.
Il faut d’abord féliciter les étudiants/comédiens, surtout, puis l’équipe du TNO et les professeurs du Programme de théâtre d’avoir mené le projet à cette fin retentissante.
Je parierais que jamais une production n’a eu à gérer d’aussi gros impondérables : une petite pandémie mondiale et ses contraintes inimaginables qui auraient pu, à elles seules, faire avorter n’importe quel projet. Plus décourageant encore, voire même démoralisant, l’annulation du Programme de théâtre par cette université qu’on ne nommera pas.
Mais les créateurs ont non seulement trouvé la motivation, ils se sont inspirés de leur situation. Ils ont exprimé leur impuissance, mais ils y ont puisé la volonté de passer par-dessus. Ils nous lancent des avertissements devant notre complaisance face aux défis de notre époque; les changements climatiques et la fragilité de l’environnement naturel, le corporatisme qui nous oblige à nous en tenir au «script», à voir le monde à travers sa lunette.
Le questionnement existentiel de la troupe de 2021 rejoint en tout point celui de la troupe de 1971. Les thèmes, la structure et les moyens techniques sont différents, mais la parenté des démarches est évidente dans la passion, la force de la dénonciation et la prise de position sans équivoque.
Quoi si moé ‘ssi j’viens du nord ‘stie me rassure sur la capacité de cette génération de nous forcer à voir bien en face notre réalité, à sortir «notre tête de l’eau» pour voir «qu’il faut faire de quoi» et que «la vie a bien plus de sens quand on la passe avec les autres».
Bravo! Votre courage et votre talent m’inspirent.
Thérèse Boutin
Ils m’ont fait rire, ils m’ont fait pleurer, ils ont répondu à la commande avec brio, ingéniosité et, on le sent bien, une résilience peu commune pour de jeunes adultes.
Lors d’une réunion des anciens de Moé j’viens du Nord ‘stie il y a bientôt deux ans, nous avions mandaté Denis St-Jules de proposer au TNO d’inviter les étudiants du programme de théâtre de feu la Laurentienne à revisiter la pièce pour en faire une œuvre du XXIe siècle, à la couleur des préoccupations de la jeunesse franco-ontarienne d’aujourd’hui. Pas question d’un remake, simplement de revenir sur les planches avec la nouvelle réalité.
Les grands thèmes et questionnements sociaux de 2020-2021 sont exprimés dès l’entrée en scène. Trois thèmes récurrents sont en filigrane : «quoi si les fourmis c’est nous… quoi si la pandémie ne finit jamais… et f*#k le système».
On sent qu’il sera question de malaise, de peine, de peur, d’incertitude. Le clin d’œil, en ouverture, à la musique originale est amusant, mais montre aussi le passage du temps, les rigodons ne semblant plus avoir la cote avec les comédiens qui se dandinent, semblant se demander de quessé cette musique! Très drôle.
Dès le deuxième tableau, dans cette magnifique ode à Sudbury, Micheal Lemire rend bien la réalité de la ville dans un slam / exercice de diction à la fois comique, nostalgique et réaliste. On sent bien la peine d’assister en direct à la disparition du Programme de théâtre, du congédiement des profs et de la mort de ce qui fut jadis la Laurentienne. «Le party est fini pour les p’tites fourmis». J’avais le cœur gros.
Si, en 1971, la relation père-fils juxtaposant deux générations face à une même réalité est la pierre angulaire de Moé j’viens du Nord, ‘stie, la nouvelle mouture remet ce dialogue au gout du jour en y ajoutant cette fois-ci le thème LGBTQ exprimé tout croche par le père, le tout entremêlé des OGM qui donnent la couleur bleue aux cheveux et les choix de carrière pas évidents. Maël Bisson est inébranlable dans ses répliques dans lesquelles on ressent toute l’exaspération de sa génération. Dans ce sketch, force est d’avouer que c’est le chat noir qui prend la vedette, magnifique bête avec son air de je-m’en-foutisme!
Lauryn Carney est juste dans son interprétation d’une animatrice de yoga dépassée par son éco-anxiété, le mal de vivre de l’heure chez cette génération. Mauricio Campbell-Martinez crève l’écran dans son rôle de réalisateur d’un bulletin de nouvelles dans lequel Joël Giroux, de marbre du début à la fin malgré la cocasserie du moment. Il donne une réplique sans faille tout en abordant tous les autres thèmes : Trump, le Capitole, Biden, Black Lives Matter, les mauvaises nouvelles, les guerres, le pipeline, les Autochtones. Tout y passe.
Le monologue d’Andrea Clermont est prenant, la quintessence de la détresse, voire de l’existentialisme exprimé par une jeune femme isolée à cause de la pandémie. «COVID à marde», comme elle dit si bien. C’est un magnifique texte agrémenté d’un superbe montage sonore qui ne fait que rajouter à l’anxiété ambiante.
J’ai quand même un bémol, et c’est celui de la qualité de la langue, de la syntaxe qui est malmenée, des conjugaisons qui en prennent pour leur rhume… mais on va passer ça sur le dos de la théâtralité, de l’improvisation, de la nervosité et de l’heure de tombée qui approche. Par contre, l’usage du franglais m’a semblé tout à fait à propos, c’est ça la réalité.
Pari réussi pour ces étudiantes et ces étudiants qui ont été confrontés à la loi de Murphy du début à la fin de ce projet, jusqu’à l’effondrement total de l’institution universitaire qui les avait accueillis, en qui ils et elles avaient mis toute leur confiance et qui, au final, les a laissé tomber. Chapeau aux professeurs, mentors, collègues, vidéastes, sonorisateurs et autres professionnels qui ont rendu ce projet possible. Et un salut bien bas à Marie-Pierre Proulx, directrice artistique du TNO, capitaine de ce gros bateau, une aventure «numérico-théâtrale» hors du commun.
Une réussite sur toute la ligne.
Isaac Robitaille
L’ultime spectacle du Programme de théâtre d’une certaine université a d’abord été imaginé comme une réponse à la pièce fondatrice du TNO, soit Moé, j’viens du Nord ’stie. L’intention initiale était de célébrer les cinquante ans de cette œuvre grâce à la voix et la prise de parole des jeunes passionnés de théâtre d’aujourd’hui.
Cela dit, une certaine pandémie a grandement compliqué les choses et ce problème a été exacerbé par cette hécatombe intellectuelle et culturelle à laquelle nous devons assister, impuissants et emprisonnés comme nous le sommes actuellement. Les attentes, donc, ont dû être modifiées, par les créateurs et aussi par nous les spectateurs.
Conséquemment, au lieu d’être une reprise de cet ancien spectacle, nous avons eu droit à une série de vignettes où les étudiants du défunt programme ont pu s’exprimer comme ils voulaient : un slam sur l’identité et le rapport de soi face à la culture franco-sudburoise; un numéro de clown sur l’aveuglement volontaire de la culture du «self-help»; un satyre du sentiment de supériorité que les Canadiens ont face aux Américains malgré la prévalence des mêmes problèmes sociaux; une promenade pour affronter les pensées intrusives; une confrontation entre un jeune et un vieux franco-ontarien sur leurs valeurs et modes de vie et un satyre de «game show». Finalement, un segment avec un faux conglomérat de style GAFA qui contrôlait toute la production servait de trame narrative.
Il est difficile d’être objectif dans l’évaluation d’une pièce qui a été créée par mes amis et collègues. Encore plus avec la situation actuelle avec cette foutue université. C’était franchement très sympathique d’être capable de voir mes confrères et consœurs après un an en confinement.
Ils ont réussi à m’émouvoir avec les moments sincères et intimes et à me faire rire avec leur comédie. Si je devais être plus critique pour un instant, certains problèmes techniques rendaient l’expérience plus rocailleuse. Il y avait des petits glitchs sonores qui étaient particulièrement dérangeants durant les segments plus poétiques. Quelques problèmes de synchronisation ont aussi compliqué la compréhension de certaines blagues.
Finalement, j’ai remarqué qu’en général, les vignettes duraient peut-être une ou deux minutes de trop à mon gout. Mais c’est vraiment minuscule quand on considère les défis auxquels la production a dû faire face.
En somme, j’ai été plutôt satisfait de mon expérience et je souhaite simplement que mes collègues puissent trouver une certaine continuité dans leurs études. Vive une université francophone gérée par, pour et avec eux dans le Nord!
Le TNO a annoncé que Quoi si moé ‘ssi j’viens du Nord ‘stie serait accessible jusqu’au 9 mai. Il est encore possible de se procurer des billets à l’adresse https://lepointdevente.com/billets/qs-en-rappel si vous l’avez manqué ou avez eu des problèmes techniques.