C’est ce que confirme un ouvrage impressionnant qui vient de paraitre, La Caisse Desjardins Ontario : Fruit de plus de 100 ans d’histoire, de l’historien Pierre-Olivier Maheux, offert en lecture libre.
130 000 membres en Ontario
«La Caisse Desjardins Ontario» est le nom de l’organisme créé il y a deux ans par la fusion des 11 caisses populaires disséminées à travers la province et de leur Fédération.
Née officiellement le 1er janvier 2020 avec un siège social à Ottawa, l’institution compte 130 000 membres, 50 centres de services, 650 employés et gère des actifs de 14 milliards $. La Caisse Desjardins Ontario devient ainsi la plus grosse caisse populaire au pays.
«Notre défi, aujourd’hui, est de bien gérer notre croissance», indique le président Stéphane Trottier à l-express.ca. «Connaissez-vous beaucoup d’institutions qui connaissent une croissance de 13 ou 14 % par année?»
«D’ailleurs, on embauche», rappelle-t-il. Une quarantaine de postes sont affichés par La Caisse Desjardins Ontario.

1900 à Lévis
«L’histoire des caisses populaires est indissociable de celle de toute la communauté franco-ontarienne», souligne le président, faisant écho à l’ouvrage de Pierre-Olivier Maheux.
Alphonse Desjardins a fondé sa première «caisse populaire» à Lévis en décembre 1900, afin d’offrir une solution au problème de l’accès au crédit pour de nombreux entrepreneurs canadiens-français, et pour encourager l’épargne dans la population, source d’investissements futurs.
L’autre caractéristique — révolutionnaire — de ce modèle est le versement de dividendes aux membres ou sociétaires. «Juste en Ontario en 2020, nous avons remis 10 millions $ aux membres, précise Stéphane Trottier. Et à travers tout le Mouvement Desjardins, la part du profit retournée aux membres représente plus de 1 million $ par jour.»
1910 à Ottawa
Quelques mois après la création de la caisse de Lévis, l’archevêque d’Ottawa, Joseph Thomas Duhamel, lui écrit pour «s’instruire de son fonctionnement», ce qui amène Alphonse Desjardins à fonder la première caisse ontarienne, dans la capitale nationale, en 1910.
C’est qu’Alphonse Desjardins est sténographe à la Chambre des communes depuis 1892, poste qu’il occupera pendant 25 ans, jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale. Entre 1910 et 1940, de nombreux acteurs de la francophonie ontarienne l’aident à jeter les bases du mouvement coopératif à travers la province.
À l’époque, les lois ne reconnaissent pas ou défavorisent ce genre d’institutions financières. Au début, les gérants de caisse sont personnellement responsables des actifs et des résultats.
De nos jours, explique Stéphane Trottier, l’autre grande différence entre les banques et les caisses populaires est que les banques reçoivent leur charte du gouvernement fédéral, alors que les caisses populaires relèvent de la juridiction provinciale. Les deux types d’institutions offrent toutefois toute la gamme des services financiers.

En même temps que le Règlement 17
La création de la première caisse, à Ottawa, survient deux ans avant l’éclatement de la crise du Règlement 17 en 1912, interdisant l’enseignement en français dans les écoles de la province. Le Mouvement Desjardins a appuyé cette résistance franco-ontarienne, en même temps que celle-ci permettait de mieux comprendre que les caisses contribuaient au développement économique et à l’indépendance financière des Franco-Ontariens.
«Il a toujours été important pour nous de chérir notre patrimoine, assure le président de la Caisse Desjardins Ontario. Les caisses populaires ont participé étroitement au développement et au rayonnement de nos communautés franco-ontariennes.»
Le livre de Pierre-Olivier Maheux éclaire le rôle clé joué au début du 20e siècle par des organismes comme l’ACFÉO (ancêtre de l’actuelle Assemblée de la francophonie de l’Ontario), l’Ordre de Jacques Cartier, l’UCCFO (Union catholique des cultivateurs franco-ontariens, actuelle UCFO) et de l’Action sociale catholique (troisième voie entre «l’étatisme envahisseur du socialisme» et «l’individualisme du capitalisme».)
Relance du Mouvement Desjardins après la guerre
Mais rien n’est facile : plusieurs petites caisses ne durent pas longtemps. En 1939, au début de la Deuxième Guerre mondiale qui relancera l’économie, seulement trois caisses populaires, à Ottawa, sont encore debout.
Elles deviennent le fer de lance d’un mouvement qui, cette fois, s’implantera avec succès dans toutes les communautés le moindrement organisées de l’Ontario français.
Ce sont 60 caisses populaires qui voient le jour dans les seules années 1940, puis une vingtaine par décennie jusqu’en 1970. Chez les anglophones, le mouvement des credit unions, qui s’inspire des caisses francophones, a lui aussi le vent dans les voiles.
Aujourd’hui, la Caisse Desjardins Ontario est bilingue, opérant aussi en anglais sous le nom Desjardins Ontario Credit Union. «Beaucoup d’anglophones sont attirés par notre modèle coopératif : on n’allait pas les refuser, explique le président. C’est même arrivé que des credit unions ou des banques ferment leurs portes dans une localité, et que ce soit la caisse populaire locale qui récupère leurs clients.»
Stéphane Trottier ajoute : «Mais la gouvernance de la Caisse Desjardins Ontario reste entièrement francophone.»
Le modèle coopératif canadien-français s’exporte d’ailleurs aussi dans plus de 30 pays, où Desjardins International offre de la formation. Nombre de nouveaux arrivants francophones en Ontario le connaissent donc déjà.
Débuts modestes
Les débuts sont souvent modestes : les caisses sont installées dans des maisons privées ou des sous-sols d’église. Mais la plupart finissent par acquérir leur édifice — comme les «vraies» banques — avec un personnel de plus en plus nombreux et professionnel et des services financiers diversifiés.
La Fédération des caisses populaires de l’Ontario adopte les armoiries du Mouvement Desjardins dès le début des années 1960, même si leur intégration dans le groupe se concrétisera plus tard.
«En fait, les caisses ontariennes ne se sont jamais appelées Desjardins, indique Stéphane Trottier. Pendant longtemps, elles n’ont pas eu de liens avec le mouvement québécois. Elles avaient même peu de liens entre elles, puisque l’argent qu’une caisse prêtait à un entrepreneur venait des épargnes de ses membres sur son territoire.»