Le financement public des universités ontariennes est le moins élevé à travers le Canada par étudiants. Conséquence : les frais de scolarité y sont très élevés. Cette situation place l’enseignement postsecondaire dans la province du côté de la commodité, un luxe qui coute cher. Pourtant, toute la société peut profiter des connaissances acquises par une personne sur les bancs d’une université, avance le professeur de l’université de Toronto, Normand Labrie.
Il a voulu lancer le débat sur la vision «bien commun» vs «commodité» de l’université en mars, lors de la table ronde sur le financement des universités francophones au Canada.
«Est-ce que l’université est un bien commun pour lequel l’ensemble de la population contribue à travers les taxes à payer ou est-ce que c’est cette commodité que seuls les individus plus fortunés devraient s’acheter et bénéficier d’une formation universitaire», demande-t-il.
Les facteurs favorisant à la commodité
Le modèle de financement des universités en Ontario est un mélange des deux. Parfois, il est davantage vers le bien commun, parfois, il penche plus vers la commodité.
Le professeur Normand Labrie, qui a été recteur par intérim de l’Université de l’Ontario français (UOF) pendant sa mise sur pied, souligne que plusieurs facteurs ont tiré les universités vers la perception de la commodité au cours des dernières décennies.
«Il y a eu une augmentation des effectifs dans les universités à travers le monde et le mouvement néolibéral depuis les années 1990 qui visent la privatisation. Ainsi, l’éducation postsecondaire devient une commodité qu’on peut s’acheter. À cela s’ajoute la mondialisation, avec le classement international des universités qui fait que certaines universités se classent très hautes, d’autres en bas d’échelle. Cela détermine où les étudiants internationaux voudront aller en choisissant de meilleures universités. Cela entraine l’augmentation des frais de scolarité pour ces étudiants internationaux qui vont se procurer cette commodité-là. C’est comme cela que l’aiguille glisse davantage vers la commodité plutôt que vers le bien commun», explique Normand Labrie.

Toute la société en bénéficie pourtant
L’ensemble de la société peut bénéficier des fruits de l’enseignement universitaire ou du travail de ceux qui ont fait l’université. Normand Labrie aimerait à tout le moins un débat ouvert sur la question pour que l’on puisse considérer tous les aspects de la question.
Pour le faire comprendre, Normand Labrie utilise la pandémie qui ravage le monde. «Le fait d’avoir des gens en recherche médicale, mais aussi en recherche sociale qui connaissent des communautés, qui ont relevé les disparités entre les groupes sociaux, tous ces gens-là ont apporté leur contribution dans le cas de la pandémie. Ils ont joué ce rôle parce qu’on les avait déjà formés. Ce ne sont pas seulement les parents qui avaient payé pour l’éducation de leurs enfants, mais c’est toute la société qui a bénéficié de leur apport», fait remarquer le professeur.
Coupures de programmes à l’université
Les universités qui privilégient la mentalité de commodité ont tendance à recourir à la fermeture de programmes où il y a moins d’inscriptions, jugés non rentables financièrement, quand elles sont confrontées à des problèmes financiers.
Pour Normand Labrie, il ne faut pas chercher à évaluer la valeur des programmes en fonction du type d’emploi attendu en sortant d’un programme. «Je donnerais l’exemple de la compagnie Ubisoft à Montréal, qui est une grande multinationale dans le monde des jeux vidéos. Pour son personnel, elle recrute beaucoup chez des finissants en philosophie ou en histoire. On s’attendrait qu’elle aille chercher seulement des étudiants en génie ou en informatique, mais elle a besoin aussi des gens qui ont fait cette formation de compréhension de l’être humain et de ses réalités pour créer des jeux qui vont justement avoir de l’intérêt pour les êtres humains, en se basant sur des faits historiques ou sur de grandes questions philosophiques», dit-il.
Il y a deux ans, le gouvernement de l’Ontario a décidé de réduire les frais de scolarité de 10 %, mais sans compenser la perte pour les universités. Cela a provoqué une baisse de revenus pour celles-ci.
«L’idée était bonne, car on allait vers le bien commun, mais le gouvernement n’a pas augmenté sa part. Ce qui a forcé les universités à diminuer les dépenses, tantôt en coupant des services, tantôt en réduisant la qualité», déplore Normand Labrie.
Une réflexion collective sur le financement des universités francophones ou bilingues en milieu minoritaire au Canada s’impose pour déterminer où nous voulons qu’elles se situent sur le continuum «bien commun – commodité».
Normand Labrie est convaincu que la vision ne sera pas univoque. Qui dit «bien commun» insinue qu’il n’y a pas de frais de scolarité pour personne; qui dit «commodité» renvoie à la privatisation des universités et chacun se débrouille.
«On restera entre les deux, on n’ira pas totalement d’un côté, totalement de l’autre. Mais la question est celle-ci : où est-ce qu’on veut placer l’aiguille? Il y a des bénéfices pour l’ensemble de la société si on ramène davantage l’aiguille, sur le continuum, vers la conception de bien commun», conclut Normand Labrie.