L’universitaire experte en matière d’innovation et de développement économique dans les régions rurales et nordiques du Canada, la chercheuse Heather Hall, se demande si l’Ontario devrait avoir une lentille pour le Nord pour s’assurer du traitement équitable de la région lors du développement ou de l’examen de politiques et de programmes.
C’est ce qu’elle affirme dans un commentaire intitulé L’Ontario a-t-il besoin d’une lentille du Nord?, publié par l’Institut des politiques du Nord.
En s’appuyant sur deux axes, la nordicité et la ruralité, Heather Hall a examiné ce qui se fait à l’international et a avancé des propositions. Elle mentionne la nécessité d’un «champion fort» dans une unité solide et centrale au sein de chaque ministère. Il faut une autorité législative, un chien de garde avec les ressources appropriées. Ce serait un outil élaboré avec les communautés. Elle met en garde ce qui pourrait ressembler à un exercice où on ne fait que cocher sur une liste.
Le président du conseil d’administration de l’Institut, Pierre Bélanger, fait remarquer que l’organisme publie des études pertinentes pour animer le débat public et que le commentaire de la chercheuse ne représente pas nécessairement la position officielle de l’Institut. «En plus des axes nord-sud et urbain-rural, il faudrait redéfinir la région, reconnaitre sa spécificité géographique, agricole, forestière, minière, climatique, dit-il. Il y a aussi la spécificité démographique. Les Autochtones qui vivent dans le Grand Nord ont des préoccupations d’accessibilité. J’ai été un peu tiède à la réponse de madame Hall.»
Le Nord de l’Ontario compte aujourd’hui 5,8 % de la population de la province alors qu’il représentait 10 % de la population il y a 40 ans. «On ne pèse pas lourd et comme toutes les régions rurales au monde, on subit un exode vers les villes, affirme M. Bélanger. Autrefois, on avait un ministère des Affaires du Nord qui avait de l’impact.»
De l’avis du député néodémocrate de Témiskaming-Cochrane, John Vanthof, «Toronto n’a pas la moindre idée de ce qui se trouve au nord de Temagami! Je suis constamment en train d’éduquer Toronto sur ce qu’est le Nord de l’Ontario. Le ministère des Affaires du Nord est maintenant tellement dilué avec d’autres responsabilités».
Comme critique en matière d’agriculture, M. Vanthof constate que le gouvernement ontarien veut développer l’agriculture dans la région qui s’étend de Matheson à Hearst. C’est surtout boisé et ce sont des terres de la couronne protégées par la Loi sur les espèces en voie de disparition. «Il n’y a pas de discussion à savoir si ces terres devraient être exploitées par des investisseurs du Sud ou par des fermiers locaux, explique-t-il. Il y a des questions sérieuses, mais personne n’en parle! Quel sera l’impact à long terme? Qu’est-ce qui va profiter le plus aux communautés? Il y a un sérieux problème avec l’érosion. On n’est pas en train de poser les gestes courageux. C’est à nous de déterminer le processus de prise de décisions pour le Nord.»
Puis, M. Vanthof se console en parlant du Nord-Ouest de l’Ontario. «Thunder Bay est encore plus isolé, poursuit-il. Notre vision de la lentille est complètement différente : ce sont deux univers.» Et il ajoute que l’idée même d’une lentille pose problème. «Quels intérêts défendrait-elle? Les communautés, l’agriculture, les mines, la foresterie, l’environnement?»
Des problèmes différents
De son côté, la députée néodémocrate de Nickel Belt, France Gélinas, appuie le concept de la lentille. «Absolument! Quand il y a un nouveau projet de loi, une directive ou une action qui touche le Nord, une lentille devrait faire un examen avant son adoption, une lentille apolitique, transparente, capable de faire des rapports publiquement, réagit-elle. Ça peut pousser le gouvernement. Et c’est assez facile de le faire».
Elle et des collègues ne cessent de se lever en chambre pour dire : «Vous rendez-vous compte que… Regardez l’impact…» Certains ministres écoutent, d’autres non. «[Le premier ministre] Ford, pas du tout», ajoute Mme Gélinas.
«Le système en place rend ça plus difficile, indique-t-elle. Avant la COVID-19, il fallait venir à Queen’s Park en personne pour faire une présentation de 7 minutes sur quelque chose qui touche le Nord. Pour nous, ça veut dire 2 jours et parfois plus avec l’état des routes. C’est pour ça qu’on entend parler beaucoup plus des enjeux de Toronto. On peut regarder à autre chose, il me semble.»
Mme Gélinas, qui est critique en matière de santé, déplore la qualité de la prestation des services dans le Nord. «Les infrastructures en santé sont tellement pauvres et souvent les gens sont loin d’elles.» L’exemple du Centre de santé communautaire de Timmins, qui a vu le jour après 10 ans de chaudes luttes, indique bien l’indifférence. «Le Centre a dû reprendre son étude de faisabilité combien de fois?», s’interroge-t-elle.
Le président de l’Association des municipalités du Nord de l’Ontario, Danny Whalen, jette un autre éclairage sur la question de la lentille. «Nous devons promouvoir et représenter le Nord de l’Ontario d’une voix plus unifiée, révèle-t-il. C’est très important pour attirer des résidents, du tourisme et des entreprises. Bien que plusieurs programmes et initiatives soient disponibles à toutes les municipalités, chacune a sa vision et ses priorités et cela complique de parler d’une seule voix.»
«Faire face à nos problèmes, selon moi, ça nous oblige d’adopter une approche commune différente, centrée sur les problèmes auxquels nous sommes tous confrontés. Sinon, on s’y perd, continue M. Whalen. En somme, une lentille pour le Nord est une bonne idée. Un bon commencement pour avoir du poids et des points de vue positifs. La prochaine étape serait de réunir un groupe de représentants de l’Institut des politiques du Nord et des deux associations de municipalités, de la Fédération des municipalités du Nord de l’Ontario, de l’ACFO, de Destination Nord et des Chambres de commerce du Nord.»