La vie d’une famille dont un des enfants — ou plusieurs — est autiste en est une de défis et d’isolement. Pour elles, la pandémie a apporté son lot de difficultés et de changements qui ne sont pas les mêmes que pour d’autres. Le fils autiste de Sara Kitlar-Pothier, Bohdan, a 7 ans. Comme tous les enfants d’âge scolaire, son quotidien a radicalement changé en mars 2020, ainsi que celui de toute la famille.
Sara Kitlar-Pothier a eu le même questionnement que plusieurs parents à la rentrée de septembre. Qu’est-ce qui est mieux pour Bohdan et la famille? Qu’il retourne à l’école ou qu’il fasse l’école à la maison?
Bohdan était dans une classe d’appui intensif qui compte un maximum de huit enfants, avec une enseignante et deux aides-enseignantes. Cet environnement lui avait permis de progresser. Par contre, il a des comportements qui augmentent les risques de contamination. «Il ne comprend pas qu’il doit garder son masque tout le temps, mettre des choses et ses mains dans sa bouche est sa façon d’activer ses sens», explique sa mère.
De plus, les structures et la stabilité sont très importantes pour son développement. Comme sa mère se doutait qu’il risquait d’y avoir d’autres périodes de confinement, elle a préféré lui offrir cette stabilité à la maison.
Ça ne veut pas dire que cette option n’était pas plus inquiétante. Sara Kitlar-Pothier ignorait si Bohdan serait capable de suivre des cours à distance, puisqu’il est déjà difficile pour lui de rester assis longtemps.
Finalement, les choses vont relativement bien. «Ça n’a pas été facile. Ça a demandé beaucoup de travail, mais maintenant, je peux voir mon fils s’épanouir.» Chaque jour apporte son lot de défis. Bohdan a un peu régressé en ce qui concerne son comportement et ses habiletés sociales, mais sa mère ne regrette pas son choix.
«Il pose des questions au sujet de l’école et de ses amis, mais beaucoup moins que ce que j’attendais.»
Sara Kitlar-Pothier est cependant consciente qu’elle fait partie d’une minorité de parents d’enfants autistes qui sont en mesure d’appuyer leur enfant. Dans son cas, elle a suivi des cours en psychologie et en travail social. Elle doit quand même multiplier les rôles : mère, enseignante, thérapeute, orthophoniste, amie, cuisinière…
La pandémie a en quelque sorte donné un aperçu de ce qu’est en permanence la vie d’une famille avec un enfant autiste. Particulièrement en ce qui concerne l’isolement, qui est constant pour elles. Mais «il y aura une fin pour eux; il n’y a pas de fin pour nous», confie Sara Kitlar-Pothier.

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Sara Kitlar-Pothier encourage d’écouter les autistes sur les symboles et les termes à utiliser pour les représenter. Entre autres, elle souligne qu’il est préférable de dire «une personne autiste» et non «une personne vivant avec l’autisme». «L’autisme n’est pas un handicap, c’est simplement une façon d’être différente», explique-t-elle.
De plus, la pièce de casse-tête a été introduite par Autism Speak, un groupe américain dont les messages sont rejetés par la communauté autiste, car Autism Speak tente d’étouffer leur voix et de parler à leur place.
La communauté autiste préfère l’utilisation du symbole infini multicolore. Ce symbole créé par des autistes et non imposé par un organisme externe représente la neurodiversité, une caractéristique intrinsèque à l’autisme.

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L’aide se fait rare
L’aide fourni dans sa classe spécialisée était la principale source d’aide pour Bohdan. Ses parents n’ont tout simplement pas les moyens de payer les 25 à 30 heures de thérapie par semaine qui devraient être menés par un analyste comportemental certifié (BCBA). Non seulement ces services sont extrêmement rares dans le Nord, mais à 55 $ de l’heure, la facture monte rapidement. Sans compter les services d’une orthophoniste, dont il aurait aussi besoin, à 75 $ de l’heure.
Sara Kitlar-Pothier est la présidente de l’Organisation de collaboration pour le Nord (Northern capacity building advisory committee). Elle est très au fait de l’état des services dans le Nord et du manque de progrès pour le financement des services par le gouvernement.
Le gouvernement a toujours sous-financé les programmes, dit Sara Kitlar-Pothier, mais depuis 2018, presque tout est gelé. Malgré les promesses du gouvernement de revoir sa décision de modification du financement et de tenir compte des besoins et des demandes des parents, très peu de choses ont été mises en place.
«Nous avons eu [la famille Kitlar-Pothier] un budget l’an dernier, mais ça a été très difficile de l’utiliser pendant la pandémie, parce que plusieurs des services ne pouvaient pas être offerts durant le confinement.» Bohdan a quand même eu accès à quelques heures en personne à partir de l’automne, mais le passage de Sudbury en zone grise a forcé la tenue des séances en ligne, ce qui n’a pas la même efficacité.
Les effets de l’âge
Sara Kitlar-Pothier suit avec attention le dossier du financement des services par le gouvernement depuis l’annonce de la transformation en 2018.
L’ancien système permettait aux enfants de recevoir les services dont ils avaient besoin au moment où ils atteignaient le sommet de la liste d’attente. Ce n’était cependant pas parfait, puisque les fonds étaient insuffisants et la liste d’attente était longue.
Les conservateurs disaient vouloir éliminer la liste en remettant l’argent directement aux parents, mais les montants suggérés ne couvraient pas les besoins des enfants plus affectés, comme Bohdan, qui est au niveau trois sur le spectre de l’autisme, le plus élevé. Même le maximum de 20 000 $ — dans certaines circonstances — ne couvre pas les besoins mentionnés plus haut.
Le gouvernement n’avait pas vérifié non plus si les services étaient disponibles dans toutes les régions, car il y a une rareté dans le Nord. Même avec les fonds, il n’y a souvent aucun spécialiste disponible pour offrir les services.
Après les contestations de 2018, le gouvernement a promis de changer son nouveau système et a enlevé au moins la notion d’allocation selon le salaire. Mais ce n’est pas suffisant selon Mme Kitlar-Pothier.
Sara Kitlar-Pothier est particulièrement agacée par la règle de financement selon l’âge de l’enfant mis en place par les conservateurs et qu’ils ont refusé de retirer malgré les demandes. «Une personne autiste le sera toute sa vie. Ils auront toujours besoin d’aide, toujours besoin de thérapie. Alors l’idée qu’il y a un âge limite pour le financement est très discriminatoire. Particulièrement pour les gens du Nord de l’Ontario.»
Selon le plan actuel, le financement diminue considérablement dès que l’enfant atteint 10 ans. «Ce dont mon enfant a besoin à 9 ans ne change pas quand il a 10 ans.» Elle ne comprend pas non plus pourquoi le plus gros montant est accordé aux enfants de 0 à 4 ans, alors qu’il est impossible de diagnostiquer un enfant avant l’âge de 18 mois et que très peu le sont avant 4 ans.
Elle explique que les enfants sont en moyenne diagnostiqués à 4 ans. Dans le Nord, c’est en moyenne à 8 ans, en raison des listes d’attente et du manque de professionnels.
Depuis l’annonce initiale, la liste d’attente en Ontario serait passée de 23 000 enfants à plus de 46 000.
Bohdan, par exemple, a reçu son diagnostic à 4 ans. À cet âge, il ne parlait toujours pas, avait de la difficulté à interagir avec d’autres et avait besoin de beaucoup d’aide. Il a été inscrit sur la liste d’attention à l’été 2017. Il y est encore. Pourtant, l’intervention dès un jeune âge est importante.
Toujours plus au sud
Le 3 février, le gouvernement annonçait une première ronde d’offres de services cliniques de base. Un «premier pas essentiel dans l’élaboration d’un programme des services en matière d’autisme fondés sur les besoins», annonce le ministre Todd Smith dans le communiqué.
Sara Kitlar-Pothier relativise l’annonce. Le gouvernement aurait envoyé 600 invitations à des parents d’enfants sur la liste d’attente pour commencer à tester son nouveau plan. Les courriels ont commencé à être envoyés seulement le 19 mars. Malgré leurs recherches, l’Organisation de collaboration pour le Nord n’a encore trouvé personne dans sa région qui a reçu une de ces invitations.