Le Conseil international des musées définit les musées comme une institution «au service de la société et de son développement […] qui acquiert, conserve, étudie, expose et transmet le patrimoine […] à des fins d’études, d’éducation et de délectation.»
Souvent portés par un effectif minimal, des bénévoles dont l’engagement est indéfectible et des ressources financières maigres, les musées d’histoire locale du Nord remplissent-ils ce mandat?
Le Voyageur en a approché quelques-uns pour esquisser un état des lieux. Le musée Ron-Morel de Kapuskasing (fermé depuis 2019), le musée de l’histoire du Nord de Kirkland Lake, le musée ferroviaire du Nord de l’Ontario de Capréol et la maison des Quintuplées Dionne de North Bay se sont prêtés au jeu. L’Association des musées de l’Ontario s’ajoute à leur voix.
Le personnel
À Capréol, au musée ferroviaire du Nord de l’Ontario, six employés s’affairent aux visites des installations du musée, chaque été. «Sans ces employés, nous ne pouvons pas fonctionner», soutient Joanne Bowers, la directrice du musée ouvert l’été et sur demande de septembre à mai.
Cette année, quatre anciens employés dument formés seront de retour au musée. Les deux autres postes demeurent à combler. En pleine pénurie de main-d’œuvre, le recrutement donne des maux de tête aux musées. Jusqu’ici, aucun étudiant ne s’est avancé pour travailler dans les musées de Kapuskasing et de Kirkland Lake.
«C’est un défi cette année», admet la superviseure du Musée de l’histoire du Nord à Kirkland Lake, Kaitlyn McKay. Normalement, les deux employés étudiants (qui s’ajoutent à deux employés à plein temps et à un à temps partiel) permettent de réaliser plusieurs projets.
À Kapuskasing, le scénario se répète. La Ville n’a pas réussi à pourvoir tous ses postes d’été, notamment ceux du musée. Le directeur n’a toutefois pas encore mis une croix sur l’ouverture du train-musée, fermé depuis 2019. «Ça prend des étudiants intéressés à offrir ces services-là», insiste le directeur municipal à Kapuskasing, Guylain Baril.

Le musée Ron-Morel de Kapuskasing
La communauté
Dans trois des quatre musées approchés, des bénévoles engagés contribuent aux activités muséales.
À Capréol, les bénévoles veillent à l’entretien des propriétés, à l’aménagement paysager et même, parfois, à la préparation d’expositions. «Ils sont la colonne de l’organisme», estime Joanne Bowers, en poste depuis un peu plus d’un an. Ces personnes dévouées ont construit le musée au cours des 30 dernières années, selon elle.
Depuis Toronto, la présidente de l’Association des musées de l’Ontario, Marie Lalonde, reconnait aussi l’apport inestimable des bénévoles.
Elle cite en exemple la maison des quintuplées Dionne, rouverte en 2019 sur le bord du lac Nipissing à North Bay. Quelques années plus tôt, la Ville comptait céder la maison qui a vu naitre les jumelles le 28 mai 1934 à Corbeil. Grâce au travail d’un comité bénévole, la maison est restée à North Bay. «Les bénévoles ont été exceptionnels», croit Mme Lalonde.
À Kirkland Lake aussi, la communauté s’est mobilisée lorsque le musée a été mis à l’examen. «Personne ne veut que ça s’efface», souligne Kaitlyn McKay. Elle espère maintenant «que les gens qui ont un grand esprit communautaire, qui aiment l’histoire de la communauté vont se joindre à nous pour nous aider.»
C’est ce que vit la maison des quintuplées Dionne, à North Bay : le musée ne fonctionne qu’avec des bénévoles et avec un étudiant, l’été. «On est une dizaine de personnes engagées : sept au comité et d’autres personnes qui nous aident», explique le président du conseil d’administration du comité patrimonial des quintuplées Dionne de North Bay, Ed Valenti.
Une partie du travail de ces bénévoles, c’est d’en trouver d’autres. «Nous sommes toujours allés chercher de l’aide», plaide le président. Par exemple, un groupe d’architectes a dessiné le site avant le déménagement de la propriété et un avocat. S’ajoutent les bénévoles qui assurent les visites de la maison les vendredis et les samedis ou qui sont présents lors d’évènements spéciaux.

Le musée des quintuplées Dionne

Une locomotive au musée ferroviaire de Capréol
Les visiteurs
Dans chacun des musées, on souligne l’importance des visiteurs de passage. À Capréol, en 2021, 80 % des visiteurs venaient de l’extérieur. «Au cours des deux derniers étés, on a eu quand même un bon nombre de visiteurs, je crois parce que les gens fuyaient la ville», renchérit en riant Kaitlyn McKay de Kirkland Lake. Les anciens résidents en visite, l’été, contribuent à cette tendance.
Avec la pandémie qui se fait moins menaçante et la reprise des visites scolaires à l’automne, Joanne Bowers prévoit que l’équilibre reviendra, avec des visites locales à hauteur de 50 %. «[Les écoles] ont fait une tournée virtuelle avec des acteurs», nuance-t-elle.
La réinvention
«Comme n’importe où, il faut attirer de nouvelles personnes», souligne Joanne Bowers. Elle croit que l’équipe du musée ferroviaire doit avancer, que la pandémie ait dit son dernier mot ou pas : «On va générer des idées.»
L’équipe de Kirkland Lake fait de même. En 2019, la programmation spéciale pour le centenaire de la Ville avait été un catalyseur. «On espérait bâtir sur cette impulsion, admet Kaitlyn McKay. On avait hâte de réaliser d’autres projets et de mettre sur pied des choses en 2020.»
Le travail de diversification se poursuit néanmoins : ateliers, cours, conférences sont en préparation pour assurer que le musée vive 12 mois par année. «Nous sommes résolument plus occupés l’été, mais nous sommes ouverts toute l’année. Il faut essayer de compenser en proposant des activités et des programmes scolaires pour que plus de gens visitent le musée à longueur d’année.»
Au contraire, à Kapuskasing, on pense réduire pour pouvoir rouvrir. Avant, la conservatrice — qui a depuis quitté son poste — recevait l’appui de deux ou de trois étudiants pour animer le musée, précise Guylain Baril. Pour l’instant, il préconise les visites autonomes. «On pense que les gens peuvent voir l’exposition par eux-mêmes et lire les articles et les explications sur les murs», indique le directeur municipal.
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Les autres musées
Marie Lalonde de l’Association des musées de l’Ontario insiste sur la portée de ces partages et du réseautage.
À Kenora, elle a observé un regroupement de musées : The Muse, à Kenora, qui compte désormais le musée, les archives et la galerie d’art. «Ça devient très intéressant comme programmation parce que les ressources peuvent être partagées. Il y a énormément de musées et il faut augmenter la collaboration entre les musées.»
Kaitlyn McKay se souvient qu’un tel réseau régional aurait existé il y a une quinzaine d’années. Les responsables se rencontraient quelques fois par année, partageaient de l’information, décrit-elle.
Une telle collaboration existe encore, autrement. Par exemple, le musée et galerie logés dans le manoir Harry Oakes communique régulièrement avec la Galerie d’art du Témiskaming et le Musée de Timmins. «Karen Bachmann (la conservatrice et directrice du Musée de Timmins) est passée à travers tous les scénarios imaginables, alors si nous avons des questions, il y a une chance qu’elle ait une réponse pour nous», souligne Mme McKay.
L’idée de former un groupe aurait même fait l’objet de conversations. Prendrait-il la forme d’un groupe de conversation privée, en ligne? «S’il y a une subvention dont plusieurs d’entre nous pourraient profiter, c’est bien de le partager. Si tu travailles dans un petit musée, il y a bien des chances que tu acceptes d’aider un autre musée», croit-elle.
Marie Lalonde est très attachée à cette notion de mise en commun. Elle y va d’un autre exemple : il y a quelques années, quatre petits musées ont conçu ensemble autant d’expositions itinérantes. Chacun des musées s’est penché sur un sujet d’intérêt local, qui avait aussi une portée plus large. Les quatre expositions itinérantes ont été présentées chez chacun des partenaires et, ensuite, à travers la province.
«Il faut briser l’isolement», estime la directrice d’association, qui reconnait que l’étendue du territoire rend la tâche plus complexe.

Le musée de l’histoire du Nord de Kirkland Lake se trouve dans la maison Harry Oakes
La mémoire
À Kirkland Lake, le musée est résolument perçu comme un gardien du passé. La maison, construite en 1912, est propriété de la Fiducie du patrimoine ontarien. Les expositions et les archives qu’elle loge sont précieuses pour la communauté. En l’absence de société historique, le musée, la bibliothèque et quelques collecteurs privés préservent l’histoire locale. Sans eux, «il n’y aurait pas d’autres avenues pour sauvegarder l’histoire», relève Mme McKay. «Si le musée n’est pas ici, l’histoire de la communauté s’efface. Personne ne veut voir ça.»
Devant la possible disparition de certains musées, Marie Lalonde soulève aussi l’importance du devoir de mémoire. Devant l’éventualité de la fermeture de petits musées, «il faudra voir comment on peut garder le patrimoine vivant de la meilleure façon possible», dit-elle.
À Kapuskasing, on se demande comment le faire, surtout en l’absence de personnel pour entretenir les archives, entreposées dans le sous-sol de la gare. Les conversations à ce sujet demeurent préliminaires. «Est-ce que ça vaut la peine de garder tout ça, lance franchement Guylain Baril. Des fois, il y a des objets qu’on a en double, en triple. On les garde pour quelles raisons?» Le conseil municipal et la Ville ne sont pas encore allés au fond de cette question.
«C’est un travail important», croit Mme Lalonde.

Une locomotive au musée Ron-Morel de Kapuskasing
L’avenir
À Kapuskasing, la pandémie pourrait être la planche de salut du musée. Guylain Baril rappelle le long exode de la population, qui semble se résorber. «Ça a vraiment changé depuis deux ans. Il n’y a plus de maisons à vendre», illustre le directeur municipal. Il s’interroge : «Il y aurait peut-être un certain intérêt à faire vivre le musée.»
Marie Lalonde répond par l’affirmative. «Les gens reconnaissent souvent que les musées peuvent contribuer à la régénération des villes. Il y a contribution à une vie sociale qui est plus intéressante, enrichie.» Sa suggestion, encore : créer des liens, cette fois-ci à même la collectivité.
À Sault-Sainte-Marie, par exemple, un musée travaille avec les organismes d’intégration de nouveaux arrivants. «Ils font ensemble des programmes au musée. Du point de vue social, ce genre de programmation devient très émouvant. C’est du community building.»
Cette notion pourrait être utile, à Kapuskasing. «Kap a été en déclin tellement longtemps qu’on ne sait pas comment développer», fait remarquer Guylain Baril à la suite d’une présentation sur le développement de l’aménagement urbain. «Il faudrait peut-être faire le même genre de réflexion avec le musée, le curling, les activités historiquement menées par des bénévoles» qui sont de moins en moins nombreux.
Le travail de sensibilisation doit aussi venir des musées, estime cependant l’Association des musées de l’Ontario. «Les musées doivent apprendre à mieux faire valoir leur apport, concède Mme Lalonde. Quand on parle du municipal, les gens vont souvent reconnaitre la santé, les routes, les infrastructures. Mais les musées contribuent aussi.»
Le pouvoir des possibilités
«Avec une bonne base de visiteurs, avec une bonne source de financement, on peut survivre, soutient Joanne Bowers. Mais il y aura toujours le besoin de trouver de nouvelles sources de financement et travailler avec le financement privé.»
Kirkland Lake espère apporter des changements, accroitre la fréquentation de la maison plus que centenaire et générer plus de revenus autonomes.
À North Bay, il faudra gérer tous les dons en matériel et à Kapuskasing, décider de ce qu’on fera de la mémoire.
Le pouvoir des musées? La résilience.