Le diable est dans les détails et, on peut aussi dire qu’à l’Université Laurentienne, le diable est dans les nombres. En effet, plusieurs personnes ont jugé nécessaire de rectifier certains nombres que le recteur de l’Université Laurentienne a avancés récemment. L’article intitulé Vous dites 28, nous disons 14. Jouer sur les mots, publié récemment dans Le Voyageur en est un exemple. Dans le présent texte nous abordons, à la fois, le nombre de programmes d’enseignement éliminés et celui des programmes qui ont survécu aux coupes annoncées le 13 avril 2021, de même que les conséquences néfastes de ces dernières sur l’équilibre linguistique à l’Université Laurentienne.
Pour ce faire, nous avons analysé la liste de deux séries de programmes — éliminés et survivants — afin de déchiffrer cette énigme. Nous avons alors découvert que dans la liste des programmes en anglais dits «éliminés», l’un d’eux n’avait pas été offert depuis 2016 (le BFA – Music Performance), qu’un autre n’existe pas selon l’application Tableau (majeure en restoration ecology) et qu’un nombre important d’options au sein de certains programmes avaient été élevées indument au rang de programmes (par exemple en éducation, ou encore au niveau maitrise, où les options avec essai et sans essai étaient considérées comme deux programmes distincts). Soucieux de rigueur, nous avons soumis à la même critique la liste des programmes en français éliminés. De 28, le nombre de programmes en français éliminés est tombé à 22, alors que du côté des programmes en anglais on est passé de 41 à 29, tous cycles confondus.
Si une taxonomie plus rigoureuse des programmes qui ont été éliminés au début d’avril 2021 ne change pas de manière importante le pourcentage des programmes en français éliminés par rapport au nombre total de programmes qui l’ont été (43,1 % au lieu de 40,6 %), elle permet de dégonfler — et sérieusement à part ça — le nombre de programmes en français qui ont survécu aux coupes.
En effet, dans une note de service datée du 15 avril 2021, le recteur Haché a affirmé que l’Université Laurentienne va «continuer à offrir 38 programmes de premier cycle en langue française». Or, quiconque connait la programmation en français à l’Université Laurentienne sait très bien qu’à son apogée, le nombre de programmes offerts au premier cycle dans cet établissement dépassait à peine la quarantaine. Ainsi, qu’on avance, suite à l’amputation de 20 programmes de premier cycle, qu’il en reste encore 38, dépasse l’entendement.
En réalité, il n’en reste que 21. Comme on l’a constaté en abordant la liste des programmes éliminés, le recteur a de nouveau considéré, à titre de programmes, des parcours académiques qui ne sont que des options au sein de programmes au sens où on l’entend à l’Université Laurentienne. Pour le dire autrement, suite aux coupes du mois d’avril il ne reste que 38 options dans 22 programmes offerts en français. À l’Université Laurentienne en effet, et contrairement à la pratique adoptée dans d’autres universités ontariennes, un programme est un secteur disciplinaire — par exemple, la philosophie — dans lequel on offre des options (un baccalauréat avec spécialisation en philosophie, un certificat en philosophie et ainsi de suite).
Ramener à leur juste taille les nombres avancés par le recteur de l’Université Laurentienne permet d’avoir une idée juste de l’ampleur réelle des coupes dans la programmation de cet
établissement, en français comme en anglais. Dans le premier cas, 22 programmes d’enseignement ont été éliminés sur les 48 qui étaient offerts avant les coupes, tous cycles confondus. Du côté de la programmation en anglais, ce sont 29 programmes sur 99 qui ont subi le même sort. Or c’est ici que tombent les masques.
En effet, l’éventail des programmes en français a été réduit de 46 %, alors qu’il n’a été réduit que de 29 % du côté des programmes en anglais, encore une fois tous cycles confondus. Derrière des nombres de programmes retranchés relativement rapprochés (22 en français contre 29 en anglais) se profile donc une réalité plus sombre, à savoir qu’on a procédé à des coupes d’ampleur beaucoup plus profondes du côté des programmes en français, proportionnellement parlant. Pour le dire autrement, suite aux coupes, 71 % de la programmation en anglais s’en est tirée indemne, contre à peine 54 % de la programmation en français.
Hélas, que le volet francophone de la programmation de l’Université Laurentienne ait été beaucoup plus rogné que son pendant anglophone ne peut que réduire encore davantage le poids relatif du premier volet. En effet, alors que le tiers des programmes de l’Université Laurentienne étaient offerts en français avant les coupes, ce qui était déjà peu, suite à celles-ci seulement 27 % des programmes d’enseignement de l’établissement seront offerts en français.
La situation est encore pire du côté des cycles supérieurs, où il ne reste que cinq disciplines dans lesquelles on peut faire des études en français à l’Université Laurentienne, contre 28 en anglais. Dans la mesure où des coupes moindres ont été faites dans la programmation aux cycles supérieurs, en particulier dans la programmation en anglais, l’université s’est anglicisée d’une manière encore plus marquée dans sa programmation à la maitrise et au doctorat, qui sera dorénavant à 85 % en anglais.
Ce genre de régression linguistique au détriment de la francophonie est le résultat d’une approche caractérisée par une insensibilité, ou encore une insouciance, à l’endroit du contexte très particulier et fragile du bilinguisme à l’Université Laurentienne. En effet, on n’a pas tenu compte du fait que l’éventail des programmes d’enseignement était nettement plus anglophone que francophone avant l’arrivée des coupes d’avril 2021. En éliminant un nombre de programmes en français à peine moindre que celui du nombre de programmes en anglais, on a, dans les faits, fait subir une coupure d’une plus grande envergure proportionnelle à la programmation en français. Par le fait même, on a anglicisé d’une manière encore plus prononcée la programmation de l’Université Laurentienne.
Il est acquis qu’en raison des coupes
d’avril 2021, la croissance de la population étudiante inscrite dans les programmes en français, en hausse ininterrompue depuis septembre 2016, est déjà un lointain souvenir. Pis encore, il y a lieu de s’attendre à ce que le nombre d’étudiants inscrits dans les programmes épargnés, qui avait atteint un sommet depuis 20 ans en septembre 2020, ne sera pas atteint avant fort longtemps, sinon plus jamais.
Denis Hurtubise
Gina Comeau
Thierry Bissonnette