Neil Young a annoncé le 24 janvier sur son site web qu’il lançait un ultimatum à Spotify, la plateforme de diffusion médiatique la plus utilisée : choisir sa musique ou le balado de l’Américain Joe Rogan. Il a fait part de ses inquiétudes quant au fait que le podcast le plus consommé au monde, The Joe Rogan Experience, diffusait parfois des informations erronées sur le COVID-19 et d’autres sujets.
Spotify, qui a signé un contrat de 100 millions $ pour avoir les droits de distribution exclusifs du podcast, a choisi Joe Rogan plutôt que Neil et a retiré sa musique de la plateforme, en disant qu’ils «regrettent cette décision», mais espèrent «l’accueillir à nouveau bientôt».
D’autres musiciens ont suivi Neil en retirant leur musique en signe de protestation, notamment certains de ses amis les plus proches : sa compatriote Joni Mitchell et Crosby, Stills & Nash.
Les musiciens comme moi qui ont du contenu sur la plateforme ont été plus ou moins obligés de choisir leur côté à ce sujet. La simple réalité est que même si vous êtes d’accord avec ce que Young préconise, la plupart des musiciens ne peuvent pas se permettre de retirer leur contenu en protestation. Spotify contrôle désormais l’industrie musicale, comme Google contrôle la publicité en ligne. Le calcul est simple : de nos jours, si on ne peut pas vous trouver, vous n’êtes personne.
Le musicien sudburois, McLean (Simon Jutras) est d’avis que ce n’est pas aussi simple pour les autres artistes moins connus que Neil Young sur la plateforme.
«J’ai une perspective assez nuancée. Neil Young est dans tous ses droits de retirer sa musique d’une plateforme s’il le souhaite. À sa place, je n’aurais pas fait la même chose, mais voilà, tout le monde est différent. Le gros problème pour moi, c’est qu’il se tourne de bord et utilise la controverse pour promouvoir des plateformes de streaming comme Amazon ou Apple, en laissant entendre qu’elles sont meilleures. La vérité, c’est que toutes les plateformes de streaming exploitent les artistes. Le modèle de rémunération est problématique et les artistes dépendent des playlists pour obtenir une visibilité importante.»
En réponse à la pression publique, Spotify a depuis commencé à mettre des avertissements sur des épisodes et a quand même commencé à supprimer une centaine d’entre eux.
Vivement le retour des débats
Bien que je sois un grand fan de Neil Young, je ne pense pas que sa décision est la bonne. Sa tentative de couper le micro d’un animateur pour un discours qu’il juge nuisible va à l’encontre de son propre dévouement à la liberté d’expression tout au long de sa carrière.
Ce qu’offre Joe Rogan n’est pas entièrement répréhensible. Il ne se dit pas journaliste. Il invite des gens dans son studio et leur parle pendant quelques heures, comme s’il était un ami curieux.
On lui reproche d’avoir invité des personnes qui ne sont pas d’accord avec tous les protocoles actuels. Il a invité des personnes qui font fi des faits avérés, mais aussi des médecins et d’autres experts de bonne réputation. La controverse aura au moins eu le bénéfice de forcer Joe Rogan à promettre un meilleur équilibre dans l’information partagée dans son balado.
Il faut dire qu’il a également mentionné ne pas être vacciné parce qu’il estime que son système immunitaire est «suffisamment fort» pour combattre la maladie par lui-même. Il a d’ailleurs eu la COVID-19 en septembre.
Même si je ne suis pas d’accord avec certains propos de Joe Rogan, je considère que de le censurer est une attaque contre la liberté d’expression. Un problème croissant très sérieux. Même si je suis vacciné et que je peux être en désaccord avec certaines choses qui sont dites, je ne pense pas que son balado doive être retiré de la plateforme parce que je n’aime pas certaines idées exprimées.
Qu’est-ce que cela dit de notre société si, chaque fois que nous entendons quelque chose avec lequel nous sommes en désaccord, nous voulons que ça disparaisse? En quoi est-ce la démonstration de la liberté d’expression?
La plupart des auditeurs de Rogan comprennent que les entrevues ne sont pas filtrées ou éditées. C’est la raison pour laquelle il est si populaire; ses auditeurs sont intéressés par ce que les gens ont vraiment à dire, sans les filtres que les grands médias ont besoin de mettre pour présenter l’information de manière concise.
Cette situation est un symptôme de la polarisation grandissante de notre société. Une idéologie dérangeante s’impose de plus en plus : «si tu n’es pas d’accord avec moi, tu es l’ennemi». Qu’est-il arrivé aux débats constructifs?
Ce n’est pas en voyant cette censure que les sceptiques recommenceront à faire confiance aux médias, aux faits et à la science. Ça ne fait que mettre fin au dialogue qui peut recoudre le tissu social.
Nous devons travailler ensemble pour nous rassembler et résoudre ce problème. Il y aura toujours quelqu’un en désaccord avec nous. Réapprenons à l’être de manière respectueuse et civilisée.