le Mercredi 27 septembre 2023
le Vendredi 2 avril 2021 20:46 Courrier des lecteurs

Courrier : Le phare qui n’éclaire plus

Lettre ouverte de Stéphane Gauthier
Courrier : Le phare qui n’éclaire plus
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Personne n’a à se réjouir de la débâcle financière et administrative de l’Université Laurentienne. Dans sa dimension la plus noble, une université est un phare qui éclaire sa société, ses décideurs et sa jeunesse. Sa mission est de transmettre la connaissance et d’en repousser les frontières, d’aider son milieu à se comprendre, puis de réfléchir aux enjeux de son temps. Pour le Nord de l’Ontario, c’est l’instrument critique qui a le devoir de penser notre développement régional en formant la prochaine génération, tous programmes confondus. Il n’est pas innocent que les jésuites aient érigés leur campus sur une colline qui surplombe le contour du bassin de Sudbury. C’était une invitation à s’élever et à réfléchir à l’abri des bruits de la ville. Pour les francophones, c’était une promesse d’épanouissement et de traitement équitable, malgré de grands compromis. Le petit pot de terre était contraint de s’associer au petit pot de fer sur le chemin cahoteux du bilinguisme institutionnel et des mirages d’un certain idéalisme canadien.

Aujourd’hui c’est la Laurentienne qui a des pieds d’argile. Pourtant, c’est la communauté qui risque d’être dépossédée de ses biens les plus précieux.

Une des principales raisons d’être de l’Université Laurentienne, affichée sur son site web, est d’«offrir une expérience universitaire hors pair en anglais et en français». 

Or, il y a longtemps que la Laurentienne ne tient plus sa promesse envers les francophones et c’est à se demander si elle ne l’a jamais tenue depuis le pacte de sa fondation. Dans l’ouvrage collectif L’Université Laurentienne, une histoire, lisez les trois chapitres signés Guy Gaudreau sur l’histoire de l’enseignement en français et du bilinguisme à la Laurentienne. C’est le récit décourageant d’un bilinguisme récalcitrant et minimaliste. C’est l’histoire d’une administration qui ne pense pas sa francophonie, parce qu’elle ne travaille pas en français; d’une administration qui n’est pas au diapason avec les aspirations les plus profondes de la part française de sa communauté, parce qu’elle a toujours refusé de lui accorder des instruments de développement et un pouvoir décisionnel; d’une administration qui n’a mis en œuvre aucune vision ambitieuse et inspirante pour le développement de la francophonie parce qu’elle l’instrumentalise, tant et si bien qu’aujourd’hui, on promet que :

«la nouvelle Laurentienne accordera à notre communauté la possibilité de se réinventer et d’approfondir son engagement envers la formation autochtone et de langue française.» (Robert Haché, recteur, 26 mars 2021, voir ci-contre.)

Comme si soixante ans de pacte n’avaient pas suffi pour «accorder» de telles «possibilités». Et c’est ainsi qu’il y a à peine trois ans, moment où l’on créait l’Université de l’Ontario français dans le Sud de l’Ontario, la Laurentienne s’est drapée d’un silence de sphinx. En matière d’engagement, d’éclairage au sommet et de phare, il y a plus courageux. 

Je suis un diplômé du département de français de l’Université Laurentienne où j’ai reçu une éducation de grande qualité dont je n’ai pas eu à rougir en poursuivant mes études. Mais mon alma mater ce n’est pas l’université. C’est mon ancien département et mon milieu culturel. Vivre et étudier en français sur le campus a toujours été un combat. À mon époque, de 1988 à 1992, le vent de création des collèges français soufflait et la Société des universitaires de langue française de l’Ontario (SULFO) jaillissait du corps de la Laurentienne. On déposait alors toutes les pièces maîtresses du dossier de l’université de langue française tellement les trahisons de l’administration étaient légions et la bonne foi des francophones était usée à la corde. Mon université, c’était le salon étudiant l’Entre-deux, la grande messe de la Nuit sur l’étang, l’équipe de hockey de l’Association des étudiants francophones (AEF). J’apprenais à lire et à penser avec les Dorais, Dickson, Bélanger, Usandivaras, Hesbois, Lefier et Sabourin. Je m’initiais à mon milieu culturel, ouvert sur le monde, aux côtés de pédagogues engagés comme Cachon, Gervais, Tremblay et Gaudreau. Le théâtre communautaire avec le Théâtre du Nouvel-Ontario complétait mon initiation et la Salle d’urgence, un pub improvisé au sous-sol du Carrefour francophone, pansait les blessures des combats du journal étudiant L’Orignal déchaîné sous l’impulsion de l’impétueux Normand Renaud.

J’ai gouté ce que peut être un milieu de vie français stimulant qui propulse sa communauté. J’ai vécu de près ce que peut donner une collectivité résiliente et pensante qui inspire sa jeunesse. Créer des lieux vivants et signifiants était devenu un programme intellectuel et social. Porté par un idéalisme lucide, j’ai ajouté sur la page de titre de mon mémoire de baccalauréat une d’injonction claire :

Département de français
Université de l’Ontario français

C’était pour appeler de mes vœux un des plus puissants instruments d’auto-détermination d’une communauté.

La crise actuelle survient au moment même où la nature des savoirs universitaires et de leur transmission se transforme. Il importe de réfléchir calmement et posément à ce que doit devenir l’université de demain et à la fécondité des disciplines qui dialoguent. Nous avons à portée de main l’occasion de définir le prochain chapitre de l’éducation universitaire de langue française dans le Nord. 

Imaginez si, depuis six décennies, la Laurentienne avait agi avec une vraie bienveillance, sans nous faire sentir qu’on était de trop et jamais assez nombreux. À quoi aurions-nous eu droit? Il suffit de voir la croissance de l’Université de Moncton depuis 1963 et sa spectaculaire contribution à la vie économique, politique et culturelle acadienne pour voir le rendez-vous avec l’histoire que l’Université Laurentienne nous a tous fait manquer.

Sudbury, qui a été bâtie à la sueur de tant de générations qui se sont échinées pour que nous accédions à la connaissance, mérite un secteur universitaire transparent, qui se tient debout et respectueux de toute la diversité de son milieu.

Mais le voyage du petit pot de terre avec le petit pot de fer a assez duré. Notre pot est cassé. La Laurentienne n’a plus l’autorité de prétendre à une supériorité morale pour diriger notre destinée. Et ce n’est pas en évoquant le «sacré» de sa mission «triculturelle» que la lumière du phare va magiquement réapparaitre. 

C’est l’heure de construire l’université française du Nord et de créer un milieu de vie intellectuel français sur les bases des pratiques de recherche et d’enseignement, passées et présentes, avec le meilleur de ce que nous sommes et à partir de la formidable richesse de toute la Francophonie. Le Nord de l’Ontario n’en sera que plus ouvert et plus prêt à naviguer les défis et les incertitudes du XXIe siècle.

Stéphane Gauthier
Ancien étudiant des universités Laurentienne et de Sudbury
M.A., Études françaises, Université de Sherbrooke