le Samedi 23 septembre 2023
le Lundi 26 avril 2021 20:50 Courrier des lecteurs

Le Grand Livre vol. 3, RIP, en ce 12 avril 2021

  Photo : André Tremblay
Photo : André Tremblay
Lettre ouverte de l'auteur Gaston Tremblay
Le Grand Livre vol. 3, RIP, en ce 12 avril 2021
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Ce matin, je m’attelle, je prends le mors aux dents, je fonce à tombeau ouvert, car je sens désormais une certaine urgence à terminer ma trilogie du Grand Livre. La mort me guette, la mort m’encercle, elle m’habite.

Je relis le premier numéro du magazine Réaction que j’ai préparé avec Claude Belcourt à l’été 1971. Une lecture que je me suis imposée pour me remettre dans le contexte de l’époque dans laquelle mon nouveau roman se déploiera. En le relisant, je dois admettre que c’est surtout Claude qui a fait ce travail. Il a assuré la permanence, car j’étais occupé à me préparer à l’arrivée de mon fils dans ce monde. En le voyant, dans la pouponnière, j’ai décidé de le reconnaître, de le nommer, en lui donnant le nom de mon meilleur ami et en jouant avec les autres prénoms de ma famille pour former une anagramme qui serait une déclaration d’appartenance.

Cinquante ans plus tard, Paul-André est mort, mon fils, AGAT, est mort, Claude le rédacteur est mort. Aujourd’hui, ils ne sont que des revenants qui s’animent dans mon esprit quand la tristesse ou la nostalgie me domine. En attendant que ce brouillard se dissipe, je prends le temps de me reposer, de pleurer pour me refaire une santé physique et émotive.

Dominus vobiscum. Et cum spiritu tuo!

Si seulement cette bénédiction était ancrée dans le réel de l’humanité plutôt que dans l’apex de notre imaginaire. Mais ce n’est pas le cas, l’homme rêve de l’au-delà. Ce n’est pas un caprice, c’est une partie intégrante de son génome. Soit, mais il ne faut pas se prélasser dans l’adversité et, surtout, il ne faut pas se réfugier dans l’irréel. En désespoir de cause, il vaut mieux pleurer. En laissant son corps hoqueté, on remet notre conscience d’aplomb; j’ai suffisamment vécu pour l’admettre. Je l’ai appris à mes dépens, il faut activer notre propre soupape… soi-même. Pour laisser son âme s’épancher plutôt que de tenter de tout endiguer… au risque de subir les retombées d’un éclatement incontrôlé. C’est la seule manière de combattre la poisse.

En attendant, il faut monter sur les barricades, dénoncer le mal que l’on nous a fait, combattre et… tout recommencer… la vie est un combat, qui est à son meilleur quand la lutte est collective. 

Aujourd’hui, je suis triste; hier, dans le Nouvel-Ontario, Abel a tué Caen. Laurentian University has just murdered its French counterpart : la Laurentienne… sa jumelle constitutionnelle. Dans cette université, l’égalité des peuples fondateurs n’existe pas, ça manque à la culture des directeurs de l’institution. Dans cette tour d’ivoire, on a oublié que la Mission de l’université est une union des cœurs, un acte de concorde dans laquelle l’Université de Sudbury a accepté de partager sa charte avec deux autres dénominations. En 1960, ensemble, elles ont fondé une université bilingue et non confessionnelle pour mieux servir le grand public. C’était et ce devrait toujours être un projet de société et non pas une entreprise de commercialisation. Un diplômé n’est pas un produit, c’est une personne, un membre en puissance d’une société qui se construit.

Les administrateurs de cette institution blâment tous ce qui bouge : les syndicats, les professeurs, les jardiniers et même les étudiants qui choisissent d’aller étudier ailleurs. Ils devraient plutôt passer au crible les décisions des cadres qui, de toute évidence, n’ont pas géré les ressources humaines, financières et immobilières de l’Université, selon les règles de l’art. Leur devoir était d’utiliser tous les moyens institutionnels de la Laurentienne pour poursuivre les objectifs de sa Mission.

Plutôt que d’admettre leurs échecs, ils ont choisi de changer, d’imposer une nouvelle Mission à leur image, à l’image de leur échec.

Plutôt que d’admettre leurs erreurs et de les corriger, ils choisissent de projeter leurs responsabilités sur les autres et d’attaquer les plus faibles. De réduire l’empan de la vision des fondateurs pour qu’elle corresponde désormais à leurs propres inaptitudes. On varlope vers le bas pour mieux paraitre. C’est une approche trumpienne à la gestion de crise ce n’est pas une approche du leadeurship, c’est une preuve d’iniquité.

Tous ces évènements ne font qu’alourdir ma tâche, ralentir ma démarche, car elle m’éloigne de mon sujet de prédilection : écrire un roman au sujet de la vie des étudiants francophones à la Laurentienne en 1972-1973. Mon roman devait être une autofiction, un regard nostalgique et même affectueux sur cette époque, un happening ancré dans notre Prise de Parole ontarienne, un poème d’amour que nous avons chanté dans les Nuits que nous avons passées ensemble… dans notre Université, à la Laurentienne. Désormais, elle manque à l’appel. C’est comme si une partie intégrante de moi-même est trépassée, comme si on m’avait volé tout le bleu de ma jeunesse. Oserais-je parler de viol? Le fait qu’on en profite pour prendre le contrôle des trois Collèges fondateurs, est la réponse à cette question. Le viol est un exercice abusif du pouvoir, donc du point de vue de notre collectivité, la réponses un OUI retentissant, car pour les francophones la Laurentienne n’existe plus et cela m’attriste énormément.

Mon sang s’épaissit, mon encre se fige sur la pointe de mon stylo, comme le sang qui se caille dans mes veines, comme la coulée de la Slague qui s’immobilise sur les flancs des moraines artificielles du Grand Sudbury.

Le grand ciel bleu n’est plus, c’est la grande noirceur. Dans la nuit du Nouvel-Ontario, il n’y a plus d’étoile polaire, il n’y a plus d’aurores boréales, il n’y a que l’iridescence du lucre, de la Slague qui fait rougir le ciel.

Requiéscant in pace

Gaston Albert Tremblay,
Professeur émérite, Queen’s University

Photo : Annik de Caruffel