Il y a presque quatre ans, je traversais la scène de l’auditorium Fraser pour recevoir mon diplôme. Enfin libre, je ne voulais pas l’accrocher au mur; c’était juste un bout de papier d’une institution qui a tout fait pour nous rendre misérable, qui à toutes les occasions choisissait sa bottom line au lieu de sa communauté. Parce que pendant mes études, je n’ai jamais eu l’impression qu’il était possible de m’épanouir. Pas vraiment, en tout cas. Quand on passe des années en mode survie, c’est difficile d’imaginer, de rêver, de voir un avenir prometteur à l’horizon. À la place, tu te fais écraser par la machine.
Bon, vous direz que c’est mélodrame mon affaire. Mais, comme plusieurs de mes amis diplômés vous le diront, j’exagère à peine. En tant qu’étudiant-politicien et brasseur de marde général pendant la majorité de mon baccalauréat, j’en ai vu et entendu des affaires : un centre étudiant, financé par ces derniers au bout de décennies, accaparé par l’administration pour le transformer en atrium; des réunions clandestines pour faire dissoudre une association étudiante sans la présence de ses représentants pour se diviser les membres parmi les autres; des rencontres d’urgence pour exiger que les francophones s’arrangent avec les anglophones parce qu’ils souffraient les conséquences de leurs propres décisions.
S’ajoutaient à ça tout ce qu’on peut voir en action en ce moment : des promesses brisées, du politicking, du doublespeak à n’en plus finir. Comme si nous on avait rien que ça à faire! On s’est essayé, mais qu’est-ce qu’une gang de p’tits culs d’à peine 20 ans peut faire contre ça? Soit on finit par se bruler, soit on baisse le regard pour se concentrer sur nos études, soit on s’assimile et on devient des champions du bilinguisme institutionnel.
Je ne suis pas fier de dire que j’ai fait des U-turns sur les trois chemins. Je ne peux pas en vouloir à mes anciens collègues de classe de ne pas vouloir s’embarquer ou militer. Mon troisième mandat au sein de l’Association des étudiant.e.s francophones s’est terminé en désillusionnement total, avec le sentiment de n’avoir rien accompli et ma santé mentale sur le mauvais bord d’un burnout. Malgré mes meilleurs efforts, la machine continuait à rouler et je m’étais aplati pour rien.
Mes moments les plus intenses à la Laurentian ont eu lieu pendant les débuts des actions concrètes pour l’établissement d’une université franco-ontarienne, un projet que j’appuyais en principe, mais moins dans l’exécution que proposaient les groupes à l’époque. Pendant les années où on militait pour une nouvelle école dans le sud en notre nom, on laissait la communauté sudburoise subir une institution qui leur était hostile, tout en leur reprochant de ne pas être assez proactifs du côté de l’UFO ou pas assez Franco-Ontariens.
Puis je regrette en quelque part, par la bande en demandant d’investir pour protéger nos acquis ici, d’avoir défendu la Laurentian, parce qu’elle est indéfendable. C’est difficile même d’embarquer dans la campagne de Save Our Sudbury parce que cette chose n’est pas mon Sudbury. Ça fait longtemps qu’elle ne joue plus ce rôle. Je ne peux pas de bonne foi braquer une pancarte dans ma fenêtre qui proclame «I HEART LAURENTIAN» sans me sentir hypocrite. Parce que je ne «heart» pas la Laurentian. Pas ses projets immobiliers vaniteux, pas sa bureaucratie écrasante, mais surtout pas son mépris transparent pour ses étudiants, ses professeurs et sa communauté.
Et son mépris est encore plus flagrant ces jours-ci. On a confié à des fonctionnaires et des avocats de l’extérieur qui ne nous connaissent pas, qui ne comprennent pas notre milieu ou nos réalités, la tâche de couper, de trancher et de sacrer à la porte les sangsues qui drainent les coffres. On donne aux oies les quelques miettes qui nous restaient, celles qu’on nous rappelait toujours qu’on était chanceux d’avoir. Finalement, il n’y a pas de comportement plus laurentien que ça.
J’haïs le fait que nous dépendons tellement de la Laurentian, que la santé de notre communauté dépend tellement des décisions de cette institution qui m’a démolie. Je suis tanné d’être fru en permanence, de me battre, de survivre. J’ai envie de vivre, de glandouiller si je le souhaite, sans m’inquiéter que le couperet tombe à n’importe quel moment, que des bureaucrates out-of-touch puissent décimer une communauté entière avec un coup de stylo.
Mais nous avons une chance maintenant de reprendre le contrôle. Après des années de coupures et d’austérité, des programmes d’études qui meurent de famine budgétaire, d’une institution qui se replie sur elle-même et coupe ses liens avec sa communauté, elle vient de nous donner l’opportunité parfaite de nous libérer de ses niaiseries à tout jamais. Pour notre santé et notre épanouissement, nous devons rompre tous nos liens avec elle. Seulement une fois séparés de cette tumeur qui pourrit par en dedans, aurons-nous finalement notre destin entre les mains.