Les cas de personnes n’ayant pu obtenir de procès en français à Sault-Ste-Marie ont défrayé les manchettes l’an dernier. Ben là, comme si la magistrature n’avait pas compris le message, le district d’Algoma vient de perdre un autre acquis. La région perd son seul poste officiel de juge bilingue. Le poste bilingue ne disparait pas puisqu’il est transféré à Sudbury. Et on affirme que des juges bilingues de Sudbury pourront présider des procès en français dans Algoma.
Par contre, la disparition de ce poste garanti veut dire qu’il n’y a plus de voix francophone au sein de l’appareil judiciaire du district d’Algoma. Lorsque les juges du district d’Algoma discutent de leur travail où de nouvelles initiatives, personne ne peut faire valoir les aspirations des francophones.
L’élimination de ce poste acquis de longue lutte découle d’un jeu de chaise musicale au sein de la Cour de justice de l’Ontario. Le jeu débute avec la nomination, en 2019, de l’avocate de Sault-Ste-Marie, Heather Mendes, à un poste de juge à Sudbury. Madame Mendes déménage à Sudbury avec ses enfants, mais, politique oblige, son mari, le député de Sault-Ste-Marie et ministre de la Formation et des Collèges et Universités, Ross Romano, reste à Sault-Ste-Marie.
Le jeu se corse à la fin 2020 lorsque le juge bilingue, Robert Villeneuve, annonce qu’il prendra sa retraite à l’été. Le juge Villeneuve siège au palais de justice d’Elliot Lake, mais est aussi appelé à tenir des procès en français dans d’autres localités d’Algoma. Sa retraite ouvre un poste de juge de la Cour de justice de l’Ontario dans le district d’Algoma. La juge Mendes demande alors un transfert à Sault-Ste-Marie afin de rejoindre son mari. Sa demande est acceptée et la juge Mendes, qui ne parle pas français, siègera à Sault-Ste-Marie à compter de la fin juin.
Sans être monnaie courante, ce genre de mesure compassionnelle est apparemment permise au sein de l’appareil judiciaire. Elle doit cependant être approuvée aux plus hauts échelons de la magistrature, soit par la juge en chef de la Cour de justice de l’Ontario, l’honorable juge Lise Maisonneuve. La décision se prend assez rapidement, sans fanfare ni trompette.
Ces transferts sont peut-être habituels, mais il est inacceptable qu’ils se fassent au détriment d’un droit acquis par les francophones. C’est un affront impardonnable.
Impardonnable que la juge Mendes ait même pensé à prendre un tel poste bilingue en ne parlant pas français. On dit qu’elle est une très bonne juge et on peut comprendre son désir de réunir sa famille. Mais disons qu’elle vient de baisser dans notre estime. Impardonnable aussi qu’une dirigeante francophone de la magistrature ontarienne, la juge Maisonneuve, ait approuvé cet affront aux Franco-Ontariens.
L’élimination de ce poste prend une signification encore plus néfaste quand on prend en compte l’histoire de Sault-Ste-Marie pour être considérée unilingue anglaise. Cette désignation municipale a bien sûr été abrogée, mais on peut voir qu’il y a encore des relents de Fratesi1 dans cette ville.
1. Le maire Joe Fratesi, qui a fait adopter la désignation de ville unilingue anglaise en 1990, était avocat.