Le ministre du Patrimoine canadien, Steven Guilbeault, travaille présentement sur un projet de loi qui verrait les GAFA — Google, Apple, Facebook, Amazon — payer des impôts au Canada. Il n’est pas le seul, les autorités australiennes et françaises ont déjà adopté de telles lois et les mettent maintenant en pratique. Guilbeault et ses collègues internationaux ont tout à fait raison. Les GAFA et autres géants du web sont les barons voleurs modernes.
Barons voleurs (robber barons) est le nom que l’on donnait à la fin du 19e siècle à ces richissimes industriels américains âpres au gain et sans foi ni loi. L’épithète inclut les Rockefeller, Carnegie, Vanderbilt et autres Morgan, propriétaires de chemins de fer, d’aciéries, de banques et de puits de pétrole. Ces entrepreneurs ont fait tellement d’argent que, 150 ans plus tard, leurs descendants et leurs sociétés sont toujours multimilliardaires.
Aujourd’hui, les GAFA récoltent au Canada plus de revenus que tous nos médias traditionnels — télé, radio, journaux, magazines — combinés. Mais contrairement au Voyageur, à La Presse ou au Globe and Mail, pour ne citer que ceux-là, ils ne paient pas beaucoup d’impôts ici. En fait, lorsqu’elles sont soumises à un régime fiscal, ces sociétés multinationales peuvent s’arranger pour transférer leurs profits dans des juridictions où les taux d’imposition sont plus bas.
Par souci de transparence, il est important de dire que votre journal, Le Voyageur, est un de ces médias durement touchés par cette révolution en publicité numérique. Depuis plus de dix ans, des centaines de millions de dollars en publicités canadiennes ont migré vers les GAFA. Pourquoi? Parce que ces sociétés jouissent d’avantages que les médias traditionnels ne peuvent concurrencer.
Prenons l’exemple de Google. Une récente étude de la Commission australienne sur la compétition et les consommateurs révèle comment le géant du web contrôle la publicité. Cela a tout à voir avec les données personnelles et les algorithmes. Le système est assez compliqué et consiste en plusieurs étapes de contrôle.
Lorsque vous voyez une annonce pour un produit sur votre site web préféré, ce n’est pas juste une compagnie qui paie le site. C’est tout un enchevêtrement de réseaux et de technologies allant des données personnelles que vous avez divulguées sans même vous en rendre compte jusqu’au site que vous consultez en passant par une myriade d’intermédiaires — les plateformes qui suivent vos recherches, celles qui identifient les annonces qui vous plaisent, celles qui gèrent les campagnes des grands publicitaires, etc.
La grande force de Google c’est qu’elle possède de 60 % à 100 % de toutes ces étapes. C’est brillant comme stratégie d’affaires, mais c’est aussi dangereux. Google possède un contrôle quasi absolu sur l’information publicitaire que nous voyons et c’est pourquoi les gouvernements sont les seuls à pouvoir briser ce monopole.
De son côté, Facebook a sévèrement transformé le mode de diffusion de l’information. Le site est incontournable pour la découvrabilité des médias d’information. Ça ne les a pas empêchés, il y a environ 5 ans, de modifier leur algorithme pour que les publications d’entreprises — incluant celles des médias — se retrouvent moins souvent sur votre fil de nouvelles. Facebook montre maintenant les publications des médias à une infime partie de ceux qui «aime» leur page et les oblige à payer pour rejoindre le reste.
L’Australie a déjà adopté une loi qui force les géants du web qui diffusent des contenus de journaux à compenser ces médias traditionnels. Google a déjà conclu des ententes à cet effet avec plusieurs éditeurs. Facebook rouspète pour le moment. L’Union européenne a aussi utilisé sa règlementation antimonopole pour courber l’échine des GAFA. Le Canada et d’autres pays envisagent maintenant des lois afin de règlementer le pouvoir de ces géants.
Nous ne pouvons qu’applaudir.